Loin des clichés véhiculés par les westerns qui ont passionné des générations d’enfants et d’adultes, Indiens des plaines est la première manifestation importante en Europe dédiée à ces peuples.
Mais qu’en est-il réellement de ces communautés et de leurs traditions ? L’exposition itinérante présentée au musée du quai Branly — dont le commissaire est Gaylord Torrence, Senior Curator du département de l’Art des Indiens d’Amérique au Nelson-Atkins Museum of Arts de Kansas City, aux États-Unis —, retrace plus de quatre siècles d’histoire — du XVIe au XXe siècle —, autour d’objets traditionnels témoignant de la vie quotidienne et des rituels sacrés de tribus qui vivaient dans de vastes contrées s’étendant du bassin du Mississipi aux Rocheuses de l’Ouest, en passant par le Rio Grande dans le Texas.
Avant l’arrivée des Européens, ces tribus sédentaires et ces groupes nomades n’occupaient que les vallées et la périphérie des grandes plaines. Pratiquant, pour les uns, l’agriculture et, pour les autres, la chasse aux bisons à pied, ils faisaient partie de vastes circuits commerciaux où plumes, coquillages, obsidienne, bauxite et argilite — matériaux utilisés comme ornements et au cours des rituels — s’échangeaient. L’argilite, en particulier (plus tard appelée catlinite, en mémoire du peintre George Catlin), était très recherchée, notamment pour la fabrication de pipes.
Dès 1540, les conquistadors espagnols, menés par Francisco de Coronado, explorent les territoires situés au nord du Rio Grande, s’installent dans l’actuel Nouveau-Mexique et lancent des missions de reconnaissance jusqu’aux Plaines centrales et méridionales. Les Espagnols avaient interdits de vendre des chevaux aux Indiens mais, les révoltes des pueblos pour chasser les occupants, vers 1690, eurent pour effet de rendre à la nature certains de ces équidés qui seront à l’origine des fameux « mustangs ». Les Indiens trouvent rapidement l’intérêt qu’ils peuvent tirer de ces derniers et s’en emparent. Ainsi, l’introduction du cheval sur le continent américain aura une incidence considérable sur les modes de vie et de pensée des Indiens des Plaines, modifiant leur conception du monde, leurs pratiques religieuses, leurs moyens et habitudes de subsistance. Les chevaux, dont la dispersion progresse en passant de tribu en tribu, remplacent les chiens comme animaux de trait, facilitent la mobilité et la chasse. Parallèlement, les fusils se répandent dans le Sud, les marchandises circulent, ainsi que les épidémies, qui font des ravages.
Devenus nomades et chasseurs, des tribus pacifiques, qui avaient été de tous temps éloignées les unes des autres, se rencontrèrent et s’affrontèrent pour des territoires de chasse, souvent encouragées par les colons, ayant bien compris que la disparition des Indiens suivrait immanquablement celle des bisons. La guerre fait alors partie du quotidien des Indiens des Plaines. Ils s’affrontent sur les terrains de chasse, lancent des raids pour acquérir des chevaux — devenus d’indispensables symboles de prestige et de pouvoir —, pour s’approprier les ressources de l’adversaire ou assouvir une vengeance et pour inspirer admiration et considération. Les jeunes gens aspirant à rejoindre les sociétés guerrières participent aux rituels préparatoires et « quêtent les visions » qui prédisent le succès au combat.
Les poncifs concernant la prise du scalp ont toujours été nombreux, probablement en raison d’une pratique encouragée par les Européens qui, dans le but de régler le « problème indien », vont offrir des primes, ce qui conduira à l’émergence de groupes s’adonnant à la chasse aux scalps. Cet acte, notamment chez les Sioux, n’était pas le geste guerrier le plus valorisé et n’était pas obligatoirement destiné à tuer l’adversaire, l’audace nécessaire pour un contact direct avec le belligérant l’étant bien plus. Le scalp revêtait une valeur spirituelle importante, s’agissant du moyen de s’emparer de la force vitale du rival. Rapporter au campement un trophée de cette sorte permettait au guerrier de prouver sa bravoure.
La chasse au bison était l’activité principale des nomades. Cet animal pourvoyait aux besoins essentiels. Les femmes préparaient le pemmican, ragoût de viande mélangée à des baies ; la peau servait à confectionner des vêtements, les toits des tipis, des courroies, des boucliers et des sacs ; les os constituaient un matériau solide pour le tannage et procuraient les alênes (poinçon servant à percer le cuir), les pinceaux et autres outils ; les cornes étaient transformées en cuillères et les tendons permettaient d’obtenir du fil.
La spiritualité était omniprésente. Ils honoraient la nature et la terre, les animaux et les plantes, les éclairs et le tonnerre, pensant que toute perturbation dans l’environnement pouvait entraîner une rupture de l’harmonie sociale. Animal sacré, le bison était honoré dans la vie cérémonielle, organisée selon le rythme des saisons. Des effigies sculptées de bisons, en bois ou en pierre, ont été trouvées dans la province de l’Alberta, au Canada, et dans le Wyoming. Parfois placées dans des sacs-médecine, elles étaient probablement associées aux rituels précédant la chasse.
Un autre élément d’ordre religieux de grande importance était de provoquer des rêves et d’accomplir la « quête de vision », parfois avec l’aide d’un chaman. Ils croyaient en effet que les esprits de la nature leur parlaient par ces moyens et leur livraient les diverses clefs nécessaires à la compréhension de leur destin et aux succès de leur existence. Pour susciter ces rêves et ces visions, ils utilisaient des techniques allant de périodes de solitude et de dures mortifications physiques à l’usage de l’alcool et, en particulier, par l’inhalation rituelle de tabac — d’ou le soin apporté à la réalisation des pipes. Ces rituels symboliques visaient également à resituer l’homme au centre du cosmos et à le mettre ainsi en communication avec le divin. Les esprits qui venaient à leur aide pouvaient prendre l’aspect d’un animal, d’un objet, d’un phénomène naturel ou d’une créature fantastique. Après avoir eu sa révélation, l’exalté fabriquait un sac-médecine en peau dans lequel il plaçait divers objets, fétiches et autres symboles matériels que sa vision lui avait commandé de réunir. À certaines occasions, il ouvrait le sac, manipulait et renouvelait son contenu en observant un rituel distinctif, pour son bien ou celui de la communauté.
Les groupes, dispersés l’hiver, se rassemblaient l’été pour célébrer l’unité tribale, festoyer, débattre au sein des conseils et des confréries guerrières. Le moment culminant de ces grands campements estivaux était la Danse du Soleil, le plus solennel des rituels collectifs. Cérémonie sacrificielle avant la chasse ou le combat, elle célébrait le renouveau de la vie et recréait symboliquement le cosmos. Autour d’un peuplier déraciné, placé au centre d’un cercle sacré, les danseurs, purifiés dans une loge de sudation, parfois couronnés de coiffes à cornes de bisons et à plumes d’aigles, tournoyaient en fixant le soleil et en s’adressant, par leurs prières, à tous les éléments de la création. Épreuve suprême, ils tiraient sur une broche accrochée dans leur poitrine, reliée par une corde à l’Arbre solaire, jusqu’à faire céder leur peau, afin de se libérer de leurs contraintes. La Danse du Soleil, avec des variantes locales, était au cœur de la spiritualité de nombreux peuples des Plaines comme les Blackfeet, les Cheyennes, les Crows, les Kiowas, les Mandans, les Shoshones et les Sioux.
La présence européenne modifie également leur économie et leur culture matérielle. Après l’abandon de leur empire nord-américain (la « Nouvelle-France »), en 1763, les Français poursuivent leurs activités commerciales mais, désormais, c’est la Compagnie britannique de la baie d’Hudson qui domine les réseaux commerciaux vers le Missouri supérieur et les Plaines canadiennes.
Sous l’impulsion du Président Jefferson, les États-Unis connaissent une extraordinaire expansion. L’achat de la Louisiane à Napoléon, en 1803, double le territoire national. La même année, le Président lance une expédition scientifique et stratégique vers l’Ouest pour atteindre le Pacifique par voie navigable, répertorier la faune et la flore, évaluer le potentiel agricole et commercial et établir des contacts avec les Indiens. À la tête de l’expédition : Meriwether Lewis (29 ans), secrétaire particulier de Jefferson et William Clark (33 ans), lieutenant d’infanterie, bientôt rejoints par le français Toussaint Charbonneau, avec sa jeune épouse indienne Sacagawea (Femme-oiseau). Partis de Saint-Louis, en mai 1804, ils remontent le Missouri, traversent les territoires Sioux, hivernent parmi les Mandans, obtiennent des chevaux auprès des Shoshones, franchissent les Rocheuses et arrivent sur la côte pacifique en novembre 1805.
Les Indiens, repoussés des plaines de l’Est, entrent en conflit avec ceux des plaines du Nord et de l’Ouest. Si elles se multiplient, les guerres intertribales restent pourtant moins meurtrières que la Conquête de l’Ouest, qui menace les fondements mêmes de la culture des Plaines. Dès 1848, l’or de Californie attire un flux d’immigrants qui dégradent l’environnement et chassent les bisons. Les États-Unis étendent leur territoire national jusqu’à la côte pacifique, s’appuyant sur l’idéologie de la « destinée manifeste » (1844), selon laquelle la nation américaine a pour mission divine de se déployer sur le continent et de répandre la civilisation…
De 1787 à 1871, le gouvernement américain signe des centaines de traités avec les Indiens : la plupart seront violés… Le premier traité de Fort Laramie (1851) prévoit un droit de passage et la construction de forts sur les territoires de plusieurs nations des Plaines, en échange de subsides de Washington. La loi sur le lotissement agraire de 1862, en attribuant des terres aux colons, multiplie les convois en route vers l’Ouest. Le flux migratoire s’amplifie en 1869, avec l’achèvement du chemin de fer transcontinental. Les altercations sont nombreuses car les troupeaux de bisons sont pratiquement exterminés par les chasseurs, privant les Indiens d’une ressource vitale. Les Sioux, menés par Red Cloud, s’opposent aux incursions sur leurs terres de chasse et tiennent tête à l’armée fédérale. Par le traité de Medicine Lodge (1867), signé avec les tribus des Plaines du Sud, et le deuxième traité de Fort Laramie (1868), conclu avec les Sioux, les États-Unis veulent sécuriser la marche vers l’Ouest en cantonnant les nomades dans des réserves. Des campagnes punitives sont organisées pour couper court à toute velléité de révolte. Mais, la résistance armée se poursuit dans le Nord, sous l’impulsion de Sitting Bull. Au Sud, les derniers rebelles comanches harcèlent les chasseurs de bisons. En 1874, l’invasion par les chercheurs d’or des Black Hills, terres sacrées des Sioux, garanties par le traité de 1868, porte la tension à son paroxysme. Le 25 juin 1876, lors de la trop fameuse bataille de Little Bighorn, dans le Montana, une coalition de Sioux et de Cheyennes, menée par Crazy Horse et Two Moons, anéantit le septième de régiment de cavalerie commandé par le général George Armstrong Custer : victoire écrasante, mais chant du cygne pour les guerriers des Plaines.
Le placement des Indiens dans les réserves entraîne de nouveaux et profonds bouleversements, d’autant que l’interdiction des rituels traditionnels, à partir des années 1880, conduit à un démantèlement de leur univers spirituel et de leurs activités sociales. Évangélisés — sans pour autant renier leurs croyances traditionnelles —, leur vie collective s’organise autour des écoles et des missions catholiques et protestantes et, dans certaines régions, autour du culte syncrétique de la Native American Church (qui obtient le statut d’Église des Premiers Américains en 1918). Les adolescents sont envoyés dans les écoles des missions ou dans des pensionnats éloignés où ils apprennent l’anglais et reçoivent des rudiments de formation : enseignement technique pour les garçons, travaux d’aiguille pour les filles. Certains s’adaptent, d’autres dépérissent. Quelques rituels (Quête de la vision, Danse du Soleil) se perpétuent clandestinement. Les pow-wow, fêtes profanes qui remplacent désormais les rassemblements du passé, contribuent à préserver chants, danses et manifestations artistiques. Ils sont l’occasion de rencontres intertribales au cours desquelles les familles se parent de leurs plus beaux atours et rivalisent de générosité lors des distributions de cadeaux.
À la fin du XIXe siècle, la population indienne, décimée par les guerres, les maladies et l’alcool, est réduite à deux cent mille individus. Paradoxalement, c’est à ce moment que la fascination pour l’Ouest américain et les Indiens est à son comble : de 1882 à 1912, William Cody (Buffalo Bill), ancien chasseur de bisons, est en tournée, avec son Wild West Show, en Amérique du Nord et en Europe.
Grâce à une natalité en hausse, l’année 1917 marque la fin du déclin de la population indienne. Les Indiens évoluent librement entre les réserves et les villes. La citoyenneté américaine leur est attribuée en 1924, signe d’une prise de conscience nationale, marquant la reconnaissance envers la bravoure des soldats indiens qui ont participé à la Première Guerre mondiale. Dix ans plus tard, en 1934, la Loi de Réorganisation des affaires indiennes accorde la liberté des pratiques religieuses traditionnelles et crée une Commission pour soutenir l’art et l’artisanat.
Parmi les témoignages visuels contemporains les plus importants sur les cultures amérindiennes figurent ceux d’artistes américains, tel que George Catlin (1796-1872), ou européens, comme Karl Bodmer (1809-1893) et de photographes, en particulier, Edward Sheriff Curtis (1868-1952).
Catlin parcourt les États-Unis, entre 1831 et 1838, afin de rencontrer les tribus, de peindre leurs membres et leurs coutumes et de collecter des objets. Désirant sauvegarder et faire connaître une culture en train de disparaître sous le coup de la conquête de l’Ouest, il entreprend de présenter sa collection et ouvre son propre musée. Afin de rendre au mieux la vérité de cette société, il engage une troupe d’indiens Ojibwas, puis Iowas qui, au milieu des toiles et des objets, dansent, chantent, fabriquent des artefacts… Rencontrant peu d’intérêt, il décide de présenter son musée en Europe. Il arrive en France, en 1845, rencontre un vif succès et sera reçu, à Paris, par le roi Louis-Philippe 1er, rencontre immortalisée par le peintre Karl Girardet.
Bodmer, originaire de Zurich, accompagna l’archiduc Maximilien, lors de son voyage dans l’Ouest américain, de 1832 à 1834, périple durant lequel il peignit de nombreuses aquarelles qui restent d’extraordinaires illustrations sur les costumes, les armes, les outils et les mœurs des autochtones nord-américains.
C’est ensuite le photographe Curtis qui se lance à leur poursuite afin de documenter leur vie avant que ceux-ci ne disparaissent, comme le voulait la croyance de l’époque. Durant vingt-sept ans, entre 1901 et 1928, il parcourt les États-Unis et le Canada à l’ouest du Mississippi, du Nouveau-Mexique à l’Alaska et établit un inventaire des quelque quatre-vingts tribus d’Amérindiens encore existantes, réalisant près de cinquante mille prises de vue. L’œuvre de Curtis constitue une contribution ethnologique incomparable qui fera l’objet d’une monumentale publication (The North American Indian, Frederick Webb Hodge Ed., préf. par Théodore Roosevelt, 20 vol. 1907-1930).
Avec la diffusion du cheval, ne se développent pas que les affrontements et les épidémies : cette période coïncide avec l’âge d’or de la culture des Plaines. L’expression artistique liée à la chasse, à la culture équestre, aux mondes naturel et surnaturel, est florissante dans la première partie du XIXe siècle. Les outils de métal accroissent l’efficacité des techniques, les perles de verre et autres articles d’importation remplacent les matériaux traditionnels et constituent des articles de troc. Les formes et les matières utilisées foisonnent : peintures et dessins, coiffures de plumes, boucliers sacrés, broderies de piquants de porc-épic ou de perles de verre ornent chanfreins de chevaux, gants, jambières, mocassins, gaines de fusil, couvertures de selles et chemises de guerre… Pour autant, il faut garder à l’esprit que ces objets ornés ne sont qu’une facette d’un ensemble complexe de manifestations incluant le chant, l’élocution, la danse et le mime.
En l’absence d’un système d’écriture, les peuples des Plaines s’appuyaient non seulement sur des chroniques orales afin de transmettre mythes et histoires complexes, observations astronomiques et toutes sortes d’autres informations précieuses, mais également sur l’art visuel, utilisant les peaux comme supports pour composer des sortes de peintures narratives consignant les événements marquants « de la première neige à la première neige » (épidémies, rencontres, échanges et conflits). On se servait de ces capes le soir, à la veillée. L’hiver, la peau servait de couverture, les poils vers l’intérieur. Le travail des peaux était réservé aux femmes. La peau de bison était tendue puis raclée avant d’être tannée, enduite, et peinte avec des pigments. Il revenait aux hommes de créer des décors figuratifs, à contenu autobiographique ou visionnaire, et aux femmes de concevoir des motifs géométriques. Notre connaissance de ces véritables « supports de mémoire » remonte à Louis XIV, lorsque le royaume s’enorgueillissait de ses possessions du Canada et de la Louisiane. L’époque est aux découvertes et les chefs indiens acceptent les cadeaux du « grand chef de France », pratiquant le troc. Les objets alors rapportés entrent dans la collection royale à Versailles, puis au musée de l’Homme et, enfin, au quai Branly qui conserve ainsi la plus importante collection de ces larges capes masculines, ornées de pictogrammes rappelant les peintures rupestres, faisant référence à la guerre et à la paix, à la chasse, au soleil et à la lune.
La coiffure de plumes d’aigle royal est probablement l’objet qui représente le mieux l’« Indien » dans l’imaginaire occidental. Seuls les guerriers les plus valeureux pouvaient en posséder une : chaque acte de bravoure donnait droit à une plume d’aigle qui, s’ajoutant les une aux autres, finissaient par former ces impressionnants couvre-chefs qui étaient utilisés tant à la guerre que lors des conseils et cérémonies religieuses. Ces plumes avaient, en outre, des vertus magico-médicales qui donnaient à cette parure une importance accrue.
Parmi les possessions les plus sacrées des guerriers et des chamans, la pipe jouait un rôle essentiel, à la fois moyen de communication avec le Grand Esprit et symbole de paix. En pierre rouge (argilite/catlinite), sa fabrication répondait à des préceptes rigoureux. Le symbolisme de la position du fourneau, faisant face au fumeur, indique qu’il pouvait entrer en communication avec son esprit tutélaire au travers de la contemplation de sa représentation. Ce sont les femmes qui confectionnaient les sacs à tabac — cultivé par les indigènes, il provenait de plantes poussant à l’état sauvage — qui servaient à la protéger mais aussi à la garder à l’abri des regards. Vers la fin du XIXe siècle, ces derniers font partie intégrante de la tenue portée lors des cérémonies.
Le bouclier du guerrier était également un bien précieux. Son ornementation était le fruit d’une inspiration empruntée à même les visions et le pouvoir des rêves, au cours d’une séance où il était à la recherche de l’esprit protecteur qui lui procurerait conseils et assistance tout au long de sa vie. Ils étaient souvent considérés par leurs propriétaires comme des êtres vivants, détenteurs d’un pouvoir surnaturel ayant la faculté de les protéger. Sa forme ronde symbolisait le soleil et les plumes d’aigles qui y étaient fixées les rayons.
Si une similitude existe entre les costumes portés par la plupart des tribus, chacune d’entre elles avait ses propres façons de coudre ou de broder, le revêtement, la couture et le nattage étant les principales techniques utilisées dans la décoration de piquants de porc-épic écrasés et teints. Cependant, ces vêtements — chemises courtes et ajustées faites de peaux, longs manteaux, jambières, mocassins a semelle souple — ayant souvent fait partie d’un butin ou ayant fait l’objet d’échanges, ces différences ont pu être, au fil du temps, adoptées et intégrées à leur propre style. Pour ajouter des pièces ou de la couleur rouge, on utilisait du tissu importé. Avec l’apparition des aiguilles et de très petites perles de verre importées de Murano par les commerçants blancs, les femmes purent effectuer des motifs plus complexes et davantage colorés. Au fur et à mesure que la broderie de perles se répandit, les minutieuses décorations de piquants de porc-épic disparurent.
La sculpture du bois étant une forme d’art mineur, elle était réservée à la confection de casse-tête et de massues de guerre (même si l’on connaît certains exemplaires en pierre). Investies d’un pouvoir sacré et faisant l’objet d’un rituel propre lors des préparatifs avant les affrontements, les massues dites « en crosse de fusil » faisaient partie des armes élémentaires utilisées dans le combat au corps à corps. Elles étaient préservées dans des sacs-médecines — poches de cuir aux vertus protectrices — magnifiquement ouvragés. On avait également recours à un casse-tête de guerre, auquel on associait gestes, chant et costume, pour illustrer les exploits et le courage d’un guerrier.
Réalisés par les femmes des tribus nomades et semi-nomades des Grandes Plaines et du Plateau, les « parflèches » sont devenus une tradition artistique majeure. Ces étuis en cuir brut, indispensables pour conserver et transporter vivres et possessions matérielles, prennent, le plus souvent, la forme d’une enveloppe repliée, pouvant facilement s’ouvrir. À la fois utilitaires et esthétiques, ce sont des objets légers, solides et imperméables, généralement fabriqués par paires assorties, accrochées de part et d’autre du cheval de somme, s’intégrant parfaitement au mode de vie propre à ces régions.
Dans toute l’Amérique du nord, de nombreux groupes célébraient la naissance d’un enfant en confectionnant une planche porte-bébé. Elles étaient pourvues de courroies, d’un repose-pied et d’un arceau pour retenir l’enfant et, suivant les régions, d’une couverture ou d’une enveloppe en écorce de boulot ou en peau, peinte ou richement décorée de broderies en piquants de porc-épic formant des motifs géométriques ou des symboles représentant les esprits tutélaires ou encore de motifs perlés. Parfois, on y accrochait une amulette formée d’un petit sac décoré contenant le cordon ombilical de l’enfant. Conçus par les proches de la mère, ces objets, transmis de génération en génération, avaient valeur de patrimoine.
Tous ces objets témoignent de la richesse et de la créativité d’un peuple, attestent d’une remarquable tradition esthétique et révèlent l’existence d’une identité culturelle immuable, avec ses formes qui émergent, se poursuivent, évoluent, disparaissent puis renaissent jusqu’aux créations contemporaines qui réinvestissent aujourd’hui l’iconographie des Indiens des Plaines.
• Musée du quai Branly, du 8 avril au 20 juillet 2014 ; Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City, du 19 septembre 2014 au 11 janvier 2015 ; Metropolitan Museum of Art, New York, du 2 mars au 10 mai 2015.
Merci Philippe de cette critique rigoureuse et détaillée. Je me suis permis de la mettre en lien avec mon site
[…] jusqu’au Texas, et du bassin du Mississippi jusqu’aux Montagnes Rocheuses. Voir la critique de Philippe Bourgoin, fondateur de la revue Tribal […]