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« La curiosité d’un prince » : le destin du cabinet ethnographique du comte d’Artois

Peau peinte, Plaines centrales, Amérique du Nord, XVIIIe siècle. Ornée de motifs géométriques et de scènes figuratives où des bisons et des ours semblent s’affronter. Peau de cervidé et pigments. Dim. : 157 x 140 cm. © Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon. Inv. 853.50.1.

Cette formidable collection d’objets provenant du monde entier a pour origine l’ambition et la curiosité d’un prince, Charles-Philippe de France, comte d’Artois (1757-1836), frère cadet du roi Louis XVI et futur Charles X. Le comte d’Artois acquit, entre 1785 et 1789, divers fonds privés, dans le but de constituer une bibliothèque et un cabinet mêlant objets ethnographiques, exotica et naturalia, susceptibles de servir l’éducation de ses fils, suivant une pratique répandue dans les familles royales et aristocratiques sous l’Ancien Régime (1661-1789). L’éducation princière, qui s’était mise en place au milieu du XVIIe siècle évolua, au siècle des Lumières et au gré de l’avancée des savoirs, en cette période d’effervescence intellectuelle, par un attrait nouveau pour l’histoire naturelle qui devint une véritable mode culturelle. Les publications et les collections dans ce domaine se multiplièrent et les pédagogues intégrèrent cette discipline dans leur enseignement. L’histoire de cette collection, dont les objets furent jugés dignes d’attiser la curiosité et le jugement des princes, puis d’intégrer les collections nationales pour l’éducation des citoyens, fait écho à celle des fonds imprimés et des manuscrits de la Bibliothèque municipale classée, dont le noyau originel est issu des confiscations révolutionnaires. Sa renommée repose sur la présence en son sein de plusieurs objets comptant parmi les plus anciens conservés au monde, collectés ou collectionnés par des aristocrates, des congrégations religieuses, des savants ou de simples amateurs, ainsi que par la maison de France — cadeaux diplomatiques offerts aux officiers et autres représentants du Roi — ou des souvenirs rapportés par des militaires et des voyageurs. Ces collections furent installées, à la veille de la Révolution, dans l’Hôtel particulier du marquis Armand-Louis de Sérent (1736-1822) — nommé, en 1780, par le roi Louis XVI, à la demande du comte d’Artois, gouverneur de ses deux fils, Louis-Antoine, duc d’Angoulême (1775-1844) et Charles-Ferdinand, duc de Berry (1778-1820) —, situé rue des Réservoirs à Versailles. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la quête de nouvelles routes commerciales et de ressources par les puissances européennes accélérèrent l’exploration scientifique des contrées éloignées. La cartographie du monde devait permettre de dresser l’inventaire des voies navigables, des territoires à coloniser et des richesses à exploiter. Ainsi, les relations commerciales, coloniales et culturelles variées entre Européens et peuples de par le monde entraînèrent l’arrivée d’objets de troc et de pièces insolites qui rejoignirent les cabinets de curiosités de l’époque. Certains objets illustrent les régions couvertes par le premier empire colonial français et, en particulier, la politique d’alliances menées par les Français avec les Nations amérindiennes dans les vastes territoires de la Nouvelle-France. Sous l’Ancien Régime, les missions diplomatiques étaient essentielles au maintien de la paix, à la prospérité du commerce et des échanges, ainsi qu’au développement de réseaux d’influence. La politique étrangère était dictée par le Roi et son conseiller ou principal ministre. Pierre Jeannin (vers 1540-1623), sous Henri IV, puis le cardinal de Richelieu (1585-1642), sous Louis XIII et Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), sous Louis XIV, mirent en place une politique coloniale fondée sur le principe du mercantilisme, pour apporter à la France les produits qui lui manquaient et servir les intérêts du royaume. C’est dans cet esprit que la monarchie eut ainsi recours au système des compagnies — apparues pour la première fois au XVIe siècle — qui, en échange du privilège exclusif du commerce, étaient chargées de peupler, de ravitailler et de développer économiquement les colonies.

À la fin du XVIIe siècle, la France était à la tête d’un vaste empire colonial qui se composait du Sénégal, de la Nouvelle-France en Amérique du Nord, des Antilles et de plusieurs possessions sur la route des Indes, telles que l’île Bourbon (La Réunion), l’île de France (île Maurice) et Pondichéry (Inde). La Nouvelle-France fournissait la morue et les pelleteries, les Antilles le sucre, le coton et le café, le Sénégal les esclaves et l’ivoire, les Indes françaises — qui occupaient une place économique dominante dans l’Empire colonial français —, les soieries et les porcelaines asiatiques.

Mocassins, Louisiane, XVIIIe siècle. Pattes postérieures d’ours et peau de cervidé́. Dim. : 29 x 22 x 7 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.13.1-2 D. Photo Patrick Gries, Bruno Descoings.
Coiffe de plumes, région des Plaines, Amérique du Nord, vers 1740. Il s’agit de la plus ancienne coiffe conservée au monde pour cette région. Peaux de bison et de cervidé, écorce de bouleau, métal, bois, poils de cerf plumes de corbeau, geai et dinde, bandeau frontal en piquants de porc-épic tressés. Dim. : 15 x 51 x 34 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.31 D. Photo Patrick Gries, Bruno Descoings.

Le cabinet ethnographique du comte d’Artois était principalement composé de celui constitué par l’ancien commis au Bureau des colonies d’Amérique, Denis-Jacques Fayolle (1729-1804). Passionné d’histoire naturelle, ce dernier vendit, au profit du projet éducatif princier, sa collection personnelle de spécimens naturalistes. Dès 1757, celle-ci s’était fait une réputation dans le milieu des cabinets d’histoire naturelle, du fait de la richesse de ses coquilliers, de ses madrépores et de ses oiseaux exotiques. Fayolle devint alors conservateur du cabinet d’Artois. Par là même, on peut supposer qu’il occupa la fonction de précepteur des jeunes princes pour l’histoire naturelle et les sciences, les fonctions de garde de cabinet et de précepteur représentant le plus souvent deux aspects d’une même charge à la cour. À la Révolution, l’émigration du marquis de Sérent et du futur Charles X, le 17 juillet 1789, entraîna — en vertu du décret ordonnant le séquestre des biens des émigrés — la mise sous scellés de son hôtel et la confiscation du cabinet d’Artois.

Couteau avec sa gaine, région des Grands Lacs, Amérique du Nord, vers 1750. Bois, métal poinçonné B. Doron), peau de cervidé, écorce de bouleau, tendon et piquants de porc-épic. Dim. : 58 x 27 x 3,5 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.29 D. Photo Patrick Gries.

Le 20 août 1792, Fayolle réalisa l’inventaire de son contenu. L’ensemble est d’une envergure impressionnante, comprenant 14 538 spécimens naturalistes issus, en partie, de sa collection personnelle, 362 pièces décrites comme « habillements, armes et ustensiles des différents peuples de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique », ainsi que 39 « divinités des mêmes peuples » et 300 médailles romaines. À ces naturalia ou spécimens d’histoire naturelle, et artificialia, créations humaines issues des contrées lointaines, s’ajoutent les instruments de physique et de chimie. On y trouve des statuettes romaines, égyptiennes, péruviennes, des Caraïbes et des « Anthropophages de la Baye des Assassins » (Nouvelle-Zélande). L’ensemble nord-américain étant de loin le plus important en nombre et en variété. Sont cités, en premier lieu, « l’habillement complet d’un sauvage du Canada », exposé sur un mannequin, suivant un usage répandu dans les cabinets d’histoire naturelle de l’époque ; suivent « deux autres têtes modelées en cire sur la nature même, coiffées, l’une à la manière Indienne des sauvages de Cayenne et l’autre à la manière des sauvages de la Louisiane ». Le reste des pièces inclut des « costumes d’esquimaux », un calumet et des armes des « sauvages » du Canada, quatre casse-têtes des Indiens de Cayenne (actuelle Guyane), diverses armes, des arcs, des carquois et des flèches des peuples d’Amérique et d’Inde, « un petit canot esquimau à l’épreuve de l’eau », etc. La série de « 18 tapis de peaux de bœufs Illinois, chevreuils et autres quadrupèdes de l’Amérique septentrionale, tous passés et peints par les Sauvages du Canada et de la Louisiane » reste la plus exceptionnelle de l’ensemble. De 1792 à 1806, ce corpus s’accrut de deux spécimens. Ce groupe de peaux peintes d’Amérique du Nord est sans équivalent dans les collections étrangères. Réalisées à partir d’une seule peau animale, pour la moitié d’entre elles de bison et pour l’autre de cervidé, avec peut-être une peau de caribou, leur origine, leur fonction et leur histoire restent cependant mal connues. Sur la base de leur forme et de leur construction — à l’exception d’une petite peau rectangulaire — et le fait qu’elles ne présentent aucune couture, permet de les attribuer, culturellement, aux régions des Plaines et du nord du territoire Quapaw. 

L’une d’entre elles, dite “aux trois villages”, documente l’alliance entre les Quapaw et les Français, comme en attestent les deux calumets ou pipes de paix peints au niveau du cou de la bête. Cette peau de bison porte les noms de trois groupes tribaux, inscrits à l’encre noire, au-dessus des villages correspondants formés de groupements d’habitations à la toiture en forme de dôme évoquant les Quapaw. Ces derniers étaient de solides alliés des Français établis en Louisiane sous l’Ancien Régime. À côté, se trouve représenté un établissement français composé de quatre maisons, habituellement identifié comme le Poste Arkansas, un centre d’échanges et de commerce établi près de la confluence entre la rivière Arkansas et le Mississippi. Figurent également, au centre, un soleil et une lune, un groupe de danseurs et de danseuses et une troupe de guerriers engagés dans une bataille contre des ennemis autochtones, probablement des Chickasaw. 

Peau peinte dite “aux trois villages”, Quapaw, Arkansas, Amérique du Nord, vers 1740. Peau de bison et pigments. Dim. : 192 x 265 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.7 D.

Probablement acquis par Fayolle dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la forme relativement simple de ce masque kebul, dit “Masque Sérent”, ferait oublier qu’il s’agit d’une pièce typologiquement rare, que son histoire est extraordinaire, son rôle symbolique complexe et qu’il s’agirait du plus vieux masque africain conservé dans le monde. Son aspect et sa facture le placèrent dans la catégorie des objets suffisamment « curieux » pour être conservés et ramenés en France. Sa forme volumineuse, couronnée de véritables cornes de bœuf, détail qui renvoie au monde animal sauvage, à la vitalité et à la puissance physique et sexuelle canalisées par l’initiation, exprime également l’orgueil masculin et la richesse matérielle. Ce masque, témoin du rite d’initiation du bukut des Diola, entité culturelle constituée de plusieurs sous-groupes établis en Basse-Casamance (Sénégal), Gambie et Guinée-Bissau, est constitué de fibres végétales tressées. Il était entièrement recouvert d’une couche d’enduit sombre à base de latex sur laquelle venaient s’appliquer des graines rouges et noires d’abrus precatorius, couleurs associées à la pluie. Ce riche décor était complété de bandes végétales et de coquillages (bivalves et cauris). Il reste, sur le front, les fragments d’une large amulette coranique. Ce parchemin calligraphié évoque la faculté d’assimilation d’influences étrangères par le bukut. Ce masque d’initiation n’était utilisé que dans le contexte précis du bukut, rite de passage masculin au cours duquel les jeunes garçons subissaient une retraite dans le bois sacré, un enseignement et l’épreuve de la circoncision. Cette cérémonie, dont l’ancienneté est attestée sur plusieurs siècles, grâce à la mémoire orale des histoires locales, était une longue période de réclusion et d’épreuves qui pouvait durer de plusieurs mois à un an. À la fin de cette période, les circoncis, dotés de leur nouveau statut d’homme, faisaient leur rentrée solennelle dans les villages, coiffés de ce type de casque, une longue chevelure en filasse d’écorce de baobab descendant jusqu’à leur ceinture. À cette époque, les Français, à travers la Compagnie du Cap-Vert et du Sénégal, avaient développé des relations commerciales avec la région de Casamance. Le long de cette côte, les Occidentaux achetaient de la cire, des peaux animales, de l’or, de l’ivoire et des esclaves contre du fer, des haches, des fusils, du corail, de la “rassade” (verroterie), des couteaux, du papier, des étoffes et de l’eau de vie

« Masque Sérent », masque heaume zoomorphe ejumba, Diola, Casamance, Sénégal. Vannerie d’écorce, cornes de bœuf, coquillages, graines d’abrus, cuir et restes d’un phylactère. 46 x 38,5 x 28 cm. Ex-coll. Denis-Jacques Fayolle, avant 1756.
© Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.38 D. Photo Patrick Gries.

En 1793, Fayolle, affecté à la gestion de la collection, s’installa à l’hôtel de Sérent, s’occupant du classement et de la conservation de ces pièces fragiles et veillant à en préserver l’intégrité tout en défendant son caractère exceptionnel. Cette période de profonds bouleversements politiques et sociétaux fut marquée par un rôle prééminent accordé aux musées et aux écoles centrales dans l’éducation citoyenne. En tant que commissaire-artiste chargé des confiscations dans le domaine de l’histoire naturelle, des antiquités, de la physique, de la chimie et de « tous les autres objets de Sciences et de curiosités », il fut chargé de sélectionner les naturalia et les objets ethnographiques présentant un intérêt pour l’éducation publique. Le fonds ainsi constitué, fut transféré, entre 1795 et 1797, au château de Versailles où il prit le nom de Cabinet d’histoire naturelle ou Muséum. Dissocié du musée de l’École française et toujours conservé par Fayolle, ce Muséum fut rattaché à l’École centrale de Versailles, consacrée à l’enseignement secondaire des garçons. Lorsque l’École ferma ses portes, en 1803, pour laisser la place au nouveau Lycée Hoche, les instruments de physique et les naturalia furent transférés au Lycée, tandis que les objets ethnographiques rejoignirent la toute nouvelle bibliothèque municipale de la ville, abritée dans l’Hôtel des Affaires étrangères et de la Marine, en 1806.

Bracelet, Nouvelle-Calédonie, XIXe siècle. Coquilles, cordonnet en poils de roussette et fibres végétales. Dim. : 16,5 x 8,5 x 3,7 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.283.1-2 D.

Ces objets, originaires des quatre parties du monde, sont à mettre en perspective avec l’histoire de la galerie d’apparat de l’Hôtel des Affaires étrangères et de la Marine, construit par l’ingénieur-géographe Jean-Baptiste Berthier (1721-1804), en 1762, à la demande du duc Étienne-François de Choiseul (1719-1785), secrétaire d’État aux affaires étrangères, dans le contexte de la guerre de Sept Ans (1756-1763), qui conduira à la perte de la plupart des colonies françaises. À la veille de sa construction, la plupart des colonies nord-américaines étaient déjà tombées sous la coupe britannique (1760), celles du Moyen-Orient le furent juste après son achèvement (1763), la Louisiane fut cédée à la Couronne espagnole en 1769. Ce vaste territoire, s’étendant de la Côte du golfe à la Terre de Rupert, du Mississippi aux Montagnes Rocheuses, fut rétrocédé à la France en 1800. Napoléon réussit alors à négocier la vente de la Louisiane aux États-Unis pour la somme de quinze millions de dollars. Ce contrat, qui scella la plus importante vente de terres de l’histoire, fut également ratifié à Versailles, en 1803. Le programme iconographique de cette bibliothèque vise cependant à montrer la grandeur de la France dans le jeu des puissances européennes en faisant référence à son expansion coloniale. Située au premier étage, elle accueillait les archives du ministère dans les armoires qui entourent les salles dont les décors rappellent cette activité diplomatique. Elle offre, aux regards des visiteurs, un décor admirablement préservé et agrémenté d’œuvres peintes par Charles-André Van Loo (1705-1765), Jean-Jacques Bachelier (1724-1806) et Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794). Sa disposition et sa décoration démontrent l’ambition personnelle et diplomatique de Choiseul. La galerie s’ouvre par la « Salle des Traités » avec un grand portrait de Choiseul rentrant dans Rome (il y avait été ambassadeur avec un certain succès) et se ferme avec la « Salle des Missions ». Au centre se trouve la « Salle de France », la plus luxueuse avec, de part et d’autre, la « Salle des Puissances du Midi », la « Salle des Puissances du Nord », la « Salle des Puissances d’Italie » et la « Salle des Puissances d’Allemagne ». Les dessus-de-porte mettent en scène les principaux ports ou capitales commerciales européens. Elle fut le théâtre de la préparation des traités de Paris (1763) — qui mit fin à la guerre de Sept Ans et réconcilia, après trois ans de négociations, la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne —, et de Versailles (1783), conférant l’indépendance aux États-Unis d’Amérique.

Bouteille à anse-goulot zoomorphe, culture chimú, 1000-1450 ap. J.-C., côte nord du Pérou. Terre cuite noire enfumée et polie. Dim. : 20,3 x 17 x 16,3 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.209 D. Photo Pauline Guyon.

La collection ethnographique issue du cabinet d’Artois et des saisies révolutionnaires sera peu valorisée dans la première moitié du XIXe siècle. C’est Joseph-Adrien Le Roi (1797-1873), nommé conservateur de la bibliothèque, en 1845, qui ouvrit la collection au public et en fit paraître le premier catalogue, en 1869. Le Roi favorisa l’émulation intellectuelle au sein du bâtiment, où siégeaient plusieurs sociétés savantes qui, grâce aux dons de leurs membres, contribuèrent à l’enrichissement du cabinet ethnographique. La collection s’accrut aussi d’objets rapportés de campagnes d’évangélisation, en Chine et en Océanie, ou encore des voyages de personnalités versaillaises liées au monde de la Marine, comme l’amiral Philippe-Victor Touchard (1810-1879). Il s’agit de quatre étoffes d’écorce battue et d’un battoir en bois utilisé dans la confection de ce type de production, cédés à la bibliothèque par Touchard en 1840. Collectées en 1836, alors qu’il était enseigne de vaisseau, lors du voyage de la corvette La Bonite, sous le commandement d’Auguste Nicolas Vaillant (1793-1858), ces cinq pièces témoignent des acquisitions qu’un jeune officier de marine pouvait réaliser au détour de ses missions. Ces cinq pièces ont trait à une période d’essor commercial et de profondes transformations dans l’archipel d’Hawaii. Le premier contact documenté avec cet archipel eut lieu en janvier 1778, lorsque les bateaux de la marine royale britannique, HMS Resolution et HMS Discovery, commandés par le capitaine James Cook, y firent escale. Et c’est là aussi que, le 14 février 1779, Cook trouva la mort dans la baie de Kealakekua, sur la plus grande des îles. Après ce fameux épisode, de nombreux Européens et Américains affluèrent vers ces îles, dont la position constituait un point stratégique pour le commerce. Dans l’archipel d’Hawaii, le mot employé pour désigner les étoffes d’écorce était “kapa”, assorti d’autres termes selon l’usage auquel elles étaient destinées. On les utilisait, dès la naissance, pour envelopper les nouveau-nés. À l’âge adulte, les hommes s’entouraient les hanches d’un morceau de kapa tandis que les femmes en faisaient des jupes. On pouvait également les utiliser comme capes ou les coudre ensemble pour former des couvertures. Elles étaient ornées d’un décor estampé au moyen de petites tablettes de bambou encrées. On fabriquait également des rubans décoratifs pour se parer le corps (autour des bras et comme bandeaux de cheveux). En 1836, la production de ces fines étoffes est proche de son apogée. Cette pratique sera quasiment éteinte en 1890.

Tapa, kapa, Hawaii. XIXe siècle. Liber de murier battu et pigments végétaux. Dim. : 2,98 x 0,43 cm. Collecté par Philippe-Victor Touchard en 1836. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Inv. 71.1934.33.255 D.

Une série d’anciennes photographies sur plaques de verre rend un précieux témoignage sur la présentation de cette collection, jusqu’à son transfert à la bibliothèque municipale et son démantèlement partiel vers d’autres institutions muséales et pédagogiques naissantes. Le fonds s’enrichit alors de nombreux dons, jusqu’à son départ pour le musée d’ethnographie du Trocadéro, en 1933. Cependant, la collection tomba peu à peu dans l’oubli et c’est finalement le musée d’Ethnographie du Trocadéro qui l’accueillit, en juillet 1933. Ce dépôt s’inscrivait dans la politique d’enrichissement des fonds mise en œuvre par le directeur Paul Rivet et son adjoint Georges Henri Rivière, qui s’attelaient à rassembler en un même lieu les objets extra-européens alors dispersés dans de nombreux établissements français. La réorganisation de l’institution conduisit à l’inauguration du musée de l’Homme, en 1938. Le dépôt versaillais y fut détenu jusqu’en 2004, date de son transfert au musée du quai Branly-Jacques Chirac où sont conservés plus de cinq cents objets américains, asiatiques, océaniens et africains, une quinzaine demeurant à la bibliothèque municipale de Versailles.

Vitrine du cabinet ethnographique à la bibliothèque municipale de Versailles, en haut, élément de grenier (pataka), Nouvelle-Zélande, à gauche, statue masculine, Nouvelle-Calédonie ; au centre, céramiques péruviennes. Négatif sur plaque de verre, Bessard (1920). © Versailles, Bibliothèque municipale. Inv. PV M 410.

« La curiosité d’un prince » : le destin du cabinet ethnographique du comte d’Artois

Bibliothèque centrale, Galerie des Affaires Étrangères

18 septembre-11 décembre 2021

5, rue de l’Indépendance Américaine

78000-Versailles

« La Revue des musées de France, Revue du Louvre », Paris, 2021, n° 1, pp. 11-13 et pp. 59-112.

Revue du Louvre 2021

Un commentaire sur “« La curiosité d’un prince » : le destin du cabinet ethnographique du comte d’Artois

  1. Molto intressante e bellissimo da leggere! Complimenti

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