
Poteau funéraire anthropomorphe (détail), Bara, Madagascar, avant 1906. Bois. H. : 283 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain. Inv. 71.1906.21.21.
Depuis l’exposition Ethnographie de Madagascar, présentée au musée de l’Homme, en 1946, par Jacques Faublée (1912-2003, ethnographe et linguiste, spécialiste de Madagascar) aucune manifestation d’envergure n’avait été dédiée à la création malgache. Cette grande île, située au large des côtes africaines, et dont la superficie est un peu plus grande que celle de la France, est renommée pour la richesse de sa faune et de sa flore mais également pour l’originalité de sa culture. La côte orientale présente un climat chaud et pluvieux, collines et hautes montagnes occupent le centre de l’île, tandis que les savanes de l’Ouest, les zones arides ou semi-arides du Sud et du Sud-Ouest s’opposent à la douceur ambiante de l’extrême Nord. Cette variété explique la diversité du patrimoine naturel et la quantité d’espèces endémiques uniques au monde. De par son insularité, la Grande Île est également, depuis plusieurs siècles, un lieu de rencontres et d’influences venues d’Orient, d’Austronésie et de l’est du continent africain. Depuis longtemps connue des Arabes — le premier géographe qui la mentionne est Al-Idrisi (1100-1165), vers 1154, suivi de Yâqût (1179-1229), en 1224 —, le premier Européen à l’apercevoir est le Portugais Diogo Dias (avant 1450-après 1500), frère du plus célèbre Barlolomeu Dias (vers 1450-1500, qui découvrit le cap de Bonne-Espérance). Nous sommes en août 1500, le jour de la Saint Laurent, et le navigateur baptise cette île l’Ilha de Sâo Lourenço. Le nom Madeigascar, donné par Marco Polo, proviendrait de Madgâshî-barqui signifierait, en persan, le « pays des Malgaches ». En 1642, des Français y débarquent pour y fonder une colonie. Ils s’installent, l’année suivante, à Fort-Dauphin — dénommé ainsi en l’honneur du futur roi Louis XIV —, sur la presqu’île d’Itaperina, à la pointe Sud de l’île. La première relation de voyage consacrée à Madagascar est due à Étienne de Flacourt (1607-1660 ou 1661), gouverneur de Fort-Dauphin, de 1648 à 1655, qui rédigea une Histoire de la Grande Isle Madagascar (J. Hénault, Paris, 1658) dont la seconde partie constitue un véritable ouvrage d’anthropologie qui traite aussi bien de la culture que de l’histoire ancienne, mais aussi de la botanique et de la faune.
Malgré les nombreuses fouilles archéologiques, de multiples questions restent sans réponse quant aux périodes historiques les plus reculées. Certaines tombes révèlent deux phénomènes : d’une part l’émergence d’une élite sociale liée au commerce ou au pouvoir politique, d’autre part, l’implantation de l’Islam dans l’île, avant le Xe siècle. La nécropole de Vohémar, sur la côte nord-est, a livré un riche matériel témoignant du travail de la pierre chloritoschiste (roche de couleur verte). Cette activité est attribuée aux Rasikajy, une population venue d’Asie du Sud-Est ou de l’Inde du Sud, liée aux réseaux commerciaux dans l’océan Indien, dès le premier millénaire de notre ère. Des céramiques d’importation chinoise et européenne, des perles fabriquées en Inde et en Europe, des objets en verre provenant de Syrie ou d’Égypte, des miroirs chinois, des armes, des bijoux en or et en argent et des pièces en nacre ont été découverts dans des sépultures qui mêlent des pratiques funéraires swahilies et des influences arabes, révélant une société brillante et prospère ouverte sur le monde.
Dans le nord de l’île, les installations humaines les plus anciennes sont attestées durant le deuxième millénaire av. J.-C. Il semble que plusieurs groupes exploitant les ressources marines ou vivant de la chasse et de la cueillette aient été présents jusqu’au Ve siècle mais il est à ce jour impossible de les rattacher à une culture spécifique. Les recherches récentes laissent supposer une occupation humaine, dans le nord de l’île, il y a plus de 4 000 ans et, au sud-ouest, il y a 3 000 ans. Au Ve siècle, débutèrent les premières migrations indonésiennes attestées, jusqu’à leur apogée, au Xe siècle. Les premières installations sur les côtes malgaches remontent au IXe siècle. La période suivante, entre le Xe et le XIIIe siècle est celle de nouvelles migrations jusqu’à l’intérieur de l’île. Venue d’Afrique de l’est et des Comores, la culture swahilie, présente depuis le VIIIe siècle, se développe à travers des comptoirs commerciaux et de petites colonies, principalement dans les régions du nord. Vers les XIe-XIIe siècles, les Antalaotra (« gens de la mer »), des commerçants arabo-musulmans parlant un dialecte swahili (bantou mélangé d’arabe), créèrent, sur les côtes nord et nord-ouest de l’île, des établissements. Madagascar exportait vers l’Afrique, les Comores et Mayotte et, plus loin encore, dans l’océan Indien, des objets sculptés dans le chloritoschiste, des textiles, du fer, des épices, des résines et des esclaves. Les comptoirs commerciaux établis dans les ports se développèrent de manière florissante, en particulier dans la partie nord de l’île. Au cours du XIIIe siècle, époque de croissance économique très active, ces villes portuaires cosmopolites devinrent de véritables cités-états. Parallèlement à l’essor de ces entités politiques, l’expansion démographique incita des populations à s’installer, progressivement, également le long des côtes et, en suivant un processus qui va se répéter, à fonder des royaumes très hiérarchisés. D’autres groupes, partis de Vohémar, au nord-est de l’île, s’établirent dans le sud-est, et constituèrent, peu à peu, les premiers royaumes Antemoro, Antambahoaka et Antanosy. Ces royaumes étaient fondés sur des institutions religieuses et sociales. La vie des individus et de leur communauté était régie par le vintana (destin) dont l’ombiasy (devin-guérisseur en charge des rituels) était l’interprète. Le pouvoir centralisé se référait en permanence aux ancêtres royaux et un certain nombre de rituels visaient à entretenir le lien avec les lignages aristocratiques pour s’assurer la prospérité du territoire. Ces migrations successives développèrent de nouvelles pratiques provoquant des bouleversements environnementaux. L’élevage des bovins et des caprins arriva avec les populations bantoues provenant du continent africain, les cultures du taro et de la banane furent importées d’Afrique australe et orientale et la riziculture d’Asie. Le riz, base de la nourriture quotidienne deviendra un pilier de l’économie et de l’histoire de Madagascar. Pratiquée dans toute l’île, à l’exception de l’extrême Sud, où le climat, trop aride, ne le permet pas, la riziculture a modifié le paysage au cours des siècles. Associé à la possession de la terre et à son exploitation, le riz était lié au développement et à la stabilité des royaumes. Vers 1550, à lieu la fondation du royaume Sakalava du Menabe. En 1610, Antananarivo est prise par les Merina. Avant 1650, les royaumes Antesaka et Betsimisaraka, Tanala et Sakalava du Boina sont fondés. Les guerres opposant les différents royaumes et, plus tardivement, entre le XVIIe et le XIXe siècles, la résistance des guerriers malgaches aux diverses tentatives d’implantation de colonies anglaises (en 1644 et en 1650) ou françaises (Fort Dauphin, entre 1643 et 1674), expliquent l’importance du statut de guerrier dans l’histoire de Madagascar.
La panoplie du guerrier était composée de sagaies, de boucliers et de mousquets, remplacés plus tard par des fusils. Depuis le XVIIIe siècle, les fusils faisaient partie des objets donnant lieu à d’importants échanges avec les Européens. Sans jamais supplanter la sagaie, les armes à feu renforçaient l’agressivité et le prestige des guerriers. Les accessoires nécessaires à leur utilisation (corne dans laquelle était conservée la poudre noire, boîte et cylindre de bambou pour la bourre et les balles) se trouvaient réunis sur une ceinture. S’ajoutaient les talismans protecteurs comme le felana, coquillage tronqué, porté sur le front, censé dévier la trajectoire des sagaies ou des balles. On retrouve ces talismans jusque dans les conflits du XXe siècle.
En 1787, Andrianampoinimerina (1745-1810) devint le souverain de l’Imerina (royaume des Merina) et se lança dans une politique de conquête. En 1810, son fils, Radama Ier (1793-1828), lui succéda et instaura un régime monarchique inspiré du modèle britannique. Il sera reconnu par ces derniers comme unique roi de Madagascar, en 1817. Cette période correspond également à l’arrivée des premiers missionnaires protestants. En 1829, débute le règne de Ranavalona Ière (vers 1788-1861), veuve de Radama Ier. Elle lutta contre l’influence européenne, persécuta les chrétiens et, en 1845, résista aux attaques franco-britanniques. L’administration, aux mains des roturiers, devint très puissante. Elle meurt en 1861 et son fils, Radama II (1829-1863), lui succéda. Humanitaire et généreux, il ouvrit Madagascar à tous les étrangers et, le 12 septembre 1862, il signa un traité d’amitié avec la France alors dirigée par l’Empereur Napoléon III. Les faveurs faites aux étrangers furent très mal jugées par la population mécontente et, le 11 mai 1863, il fut assassiné. Rasoherina (1814-1868), la veuve de Radama II, épousa, en 1864, Rainilaiarivony (1828-1896), alors Premier ministre. Sous l’influence de ce dernier, la monarchie lui octroya de plus en plus de pouvoir, aux dépens de la souveraine. Rainilaiarivony sera également l’époux de Ranavalona II (1829-1883) et de Ranavalona III (1861-1917). En 1869, eut lieu le baptême du couple royal Ranavalona III et du premier ministre Rainilaiarivony. Ce dernier s’efforça de moderniser l’administration, réorganisa l’armée, rendit l’école publique obligatoire, fit adopter une série de codes juridiques calqués sur le droit anglais, tout en limitant progressivement les pratiques traditionnelles telles que l’esclavage, la polygamie et la répudiation unilatérale de la femme.Ses compétences diplomatiques et son sens aigu des affaires militaires lui permirent de préserver la souveraineté de son pays, jusqu’à la prise du palais royal par les Français, en septembre 1895. Bien que le tenant en haute estime, l’autorité coloniale française le limogea et l’exila, en Algérie, où il mourut, en août 1896. Ranavalona III et sa cour furent autorisés à rester comme figures emblématiques. À la fin du XIXe siècle, Britanniques et Français se firent concurrence à travers leurs missionnaires et leurs trafiquants. Les premiers s’imposèrent à Tananarive, la capitale, tandis que les seconds renforcèrent leur présence parmi les populations côtières, rivales des Mérina des hauts plateaux. En 1883, les Français précipitèrent les choses en bombardant le port de Tamatave, en pays Betsimisaraka. Enfin, le 17 décembre 1885, ils imposèrent au souverain malgache la cession de la baie de Diégo-Suarez, à la pointe nord de l’île, la prise de contrôle de la politique étrangère du royaume malgache, l’installation d’un résident français à Tananarive et, par-dessus le marché, une indemnité de guerre.

Photographe inconnu. La reine Ranavalona III. Entre 1890 et 1895. © University of Southern California Libraries.
La mise en application de ce traité léonin se heurta à la résistance passive de la reine Ranavalo III. Le 1eroctobre 1895, le corps expéditionnaire français, commandé par le général Duchesne, entra dans la capitale et imposa à la reine un protectorat. Mais, aussitôt après, débuta un mouvement de résistance populaire appelé rébellion « menalamba » (ou toges rouges, le lamba étant le vêtement national des Malgaches). Le 6 août 1896, le royaume est alors formellement rattaché à la France. Le pouvoir colonial renverse la royauté malgache en 1897 et la France annexe l’île, en 1900. La découverte d’intrigues politiques anti-françaises à la cour amenèrent les Français à exiler ladernière reine de Madagascar, Ranavalona III, qui vécut en exil, à partir de 1897, à La Réunion, et mourut à Alger, en 1917. En 1947, aura lieu l’insurrection anticoloniale qui conduira l’île à l’indépendance, le 26 juin 1960.
L’art au jour le jour montre la capacité à exploiter les ressources naturelles et l’inventivité déployée par les artisans pour concevoir une forme qui suive, avec une grande économie de moyens, la fonction de l’objet. De très nombreux accessoires personnels révèlent un lien au sacré et sont parfois aussi impliqués dans des cérémonies rituelles, des rites de passage, ou encore des pratiques thérapeutiques qui unissent les vivants et les morts. Amulettes et poteaux funéraires sont également les marqueurs du monde intangible et concrétisent la bienveillance et la protection sollicitée auprès des esprits. Parallèlement au monde des vivants, des êtres immatériels — puissances suprêmes, ancêtres, esprits et forces surnaturelles — évoluent dans une autre dimension. À travers toute l’île, certains arbres, points d’eau, montagnes et autres lieux naturels étaient et sont encore aujourd’hui considérés comme sacrés. C’est notamment le cas d’une plante herbacée endémique connue sous le nom d’« arbre du voyageur » (Ravenala madagascariensis). Symbole de l’union entre l’homme et la nature, cette plante herbacée est célébrée pour sa capacité à stocker de l’eau de pluie à la base de ses feuilles, permettant au voyageur assoiffé de se désaltérer, pour son cœur comestible, ses graines utilisées pour produire de l’huile, son tronc coupé en latte pour la fabrication du plancher, ses feuilles qui servent à̀ recouvrir les habitations et ses pétioles fendus utilisés comme panneaux muraux. Les Malgaches, qui ont gardé le système de croyances de leurs ancêtres, ne sont pas polythéistes, mais plutôt hénothéistes : ils reconnaissent la suprématie d’un seul dieu, tout en admettant l’existence d’une multitude d’esprits. Dieu unique, Zanahary, à l’origine de toute chose dans l’univers, n’est jamais représenté. Si le dieu créateur est inaccessible aux prières et aux sollicitations des humains, les ancêtres, en tant qu’intermédiaires, sont omniprésents et honorés quotidiennement. Le dialogue avec les ancêtres se fait à travers des sacrifices mais aussi par les rêves et la possession (tromba), la transe permettant de solliciter les conseils d’un esprit pour régler un problème. Indispensables dans le domaine du sacré, qu’il s’agisse d’événements concernant un individu, de cultes impliquant toute la communauté ou de rites de guérison, leur influence est également perceptible dans le monde profane. Dans un certain nombre de sociétés malgaches, l’univers était structuré en trois mondes : le monde supérieur (le ciel), le monde intermédiaire des vivants et le monde inférieur, ces deux derniers étant partagés entre la terre et les eaux. Cette partition rejoint un clivage social entre aristocrates associés aux eaux (et au ciel) et autochtones dits “maîtres de la terre”. Un symbolisme des couleurs et une relation particulière à certains éléments sont à rapprocher de cette structuration de l’univers : le rouge, symbole de pouvoir et de purification, est associé au monde supérieur et au feu, le noir est la couleur de la terre et symbolise la puissance et la prospérité et le blanc, qui préserve la santé et représente le sacré, est relié à l’eau. Des influences indonésiennes entraînèrent une nouvelle répartition des couleurs entre les mondes et la combinaison de ce système ternaire en un système quaternaire où les couleurs et les éléments se trouvèrent attribués aux quatre directions qui régissaient “l’espace-plan” de la terre. L’organisation de l’univers, que ce soit à l’échelle du cosmos ou de la vie quotidienne, était — et est toujours — dominée par le vintana, terme qui peut se traduire par « destin ». La croyance dans le vintana est l’une des bases de la culture malgache : destin lié à la naissance, destin attaché à chaque période de temps et à chaque moment de cette période, destin lié à chacune des circonstances de l’existence. Le vintana est régi par les constellations, les conjonctions de la lune et du soleil, les points cardinaux ainsi que par les quatre éléments. Le vintana de chaque individu représente une convergence d’énergies qui, au moment précis de son entrée dans le cosmos, c’est-à-dire de sa naissance, résulte de la composition de l’eau, du feu, de la terre et de l’air. Les actes importants de la vie sont ainsi fortement influencés par la position des astres, en particulier, par la lune. Chacun se doit de se conduire conformément au vintana, essayer de toujours agir positivement et d’éviter les vintanas opposés. Il est possible de conjurer le sort par des sacrifices de rejet « fanalam-paditra » ou des sacrifices de propitiation « fanaovan-tsorona ».
L’orientation de toute construction, qu’il s’agisse d’un palais, d’une maison ou d’un espace funéraire, l’organisation et le déroulement des rituels, et même certaines activités quotidiennes, étaient soumis aux recommandations du mpanandro(astrologue) et du mpisikidy(géomancien). Dans le village, la disposition des habitations et la hiérarchie sociale se répartissaient, à partir de la maison du lignage fondateur, en direction du nord-est et du sud-ouest. Avant l’adoption d’objets et de coutumes venus d’Europe par les élites politiques et économiques, la majorité des intérieurs malgaches étaient marqués par une certaine sobriété, comme l’évoquent les récits de voyageurs au XIXe siècle, surtout en s’éloignant de la capitale. Dans cette dernière, les constructions en bois étaient réservées à l’aristocratie, les autres bâtiments étant en pisé (terre crue). En 1868, un édit royal interdisant les constructions en « dur » fut abrogé, les maisons urbaines bourgeoises furent alors édifiées en briques et couvertes de tuiles. Les autres habitations étaient majoritairement construites en bois et à partir d’éléments végétaux, comme dans le sud et dans le centre-est, tels que les feuilles de l’arbre du voyageur recouvertes de torchis, du bambou ou du raphia. La variété fut introduite par des toits formant un auvent, des vérandas, l’utilisation de pilotis et le décor sculpté des portes et des volets. Une certaine unité résidait dans le plan des demeures : une seule pièce avec peu de meubles dans laquelle les habitants et les objets y avaient une place déterminée en fonction du poteau central soutenant la toiture et séparant symboliquement deux zones : le sacré au Nord et le profane au Sud. L’angle nord-est (celui de la direction des ancêtres) était un lieu de prière. L’emplacement réservé au chef de famille, à l’autorité, se situait vers le mur oriental, également lié à la richesse et à la croissance. Ce qui était à l’Ouest et au Sud concernait les usages domestiques, tout ce qui est vulgaire, négligeable, voire souillé et impur.

Bois de lit, Madagascar, avant 1933. Bois. Dim. : 23 x 193,3 x 4,4 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain. Inv. 75.14706.1.
De par sa dimension et parce qu’il indiquait aussi le statut social de son propriétaire, le lit, placé dans la partie orientale de la maison, était le meuble le plus important. Seul le côté externe de la partie horizontale, visible au niveau du sommier était sculpté ou simplement gravé d’une frise de personnages ou de petites scènes. Au XIXe siècle, la présence de soldats européens ayant profondément marqué les esprits, les images de défilés militaires deviennent des sources d’inspiration pour ces décorations. Habituellement, dès la tombée de la nuit, c’est le feu allumé pour la préparation du repas du soir qui éclairait la maison. Les témoignages de certains voyageurs européens ayant visité l’île aux XVIIe et XVIIIe siècles apportent des précisions sur l’utilisation de supports matériels pour la lumière. En bois, en terre cuite, en fer forgé ou en pierre, les matériaux étaient variés et différaient là aussi en fonction des régions. Utilisées aussi bien pour éclairer que pour décorer l’intérieur des habitations, ces lampes traduisaient également le statut social des propriétaires. Toutes les lampes comportaient des cupules dans lesquelles étaient placée la graisse animale ou des résines qui nourrissaient la flamme. Plus le nombre de cupules était important, plus le statut social du propriétaire était élevé.
Depuis des générations, l’art de la sculpture s’est développé par l’entremise des forestiers, charpentiers et artisans qui ont déployé, autour du bois, un ensemble de connaissances et de savoir-faire. Cette tradition témoigne du rôle central de ce matériau dans tous les aspects de la vie et de la mort, dans les constructions comme dans les objets de la vie quotidienne. Dans la région du Sud (Mahafaly, Bara, Sakalava…) est attribuée une sculpture jugée « primitive » ; à l’inverse, les populations des Hautes-Terres (Merina, Betsileo, Tanala) produisent une sculpture de tradition plus ancienne et plus élaborée, dont l’expression la plus connue sont les bois de lit. Les portes et les volets en bois étaient les supports privilégiés du décor sculpté, en particulier dans l’architecture zafimaniry, dans le centre-est de l’île. Cette communauté est la dernière dépositaire d’une culture originale du travail du bois, autrefois très répandue dans toute l’île. Les Zafimaniry se sont établis, au XVIIIe siècle, dans une région boisée et reculée, dans le sud-est, pour échapper à la déforestation qui ravageait à l’époque la majeure partie du pays. Aujourd’hui, quelque vingt-cinq mille Zafimaniry vivent dans une centaine de villages et de hameaux dispersés dans les montagnes de la région. Ils utilisaient vingt espèces d’arbres endémiques, adaptées chacune à un type de construction ou à une fonction décorative spécifique. Les maisons et les tombeaux étaient assemblés exclusivement par tenon et mortaise. Les greniers traditionnels, perchés sur des piliers ronds, étaient une particularité du paysage de ces montagnes. Les motifs géométriques, extrêmement codifiés, trahissent non seulement les origines austronésiennes de la communauté, mais aussi les influences arabes qui imprègnent la culture malgache.

Mortier en forme de zébu, Bara, Sud de Madagascar, début du XXe siècle. Sous la bosse amovible de ce zébu sculpté dans le bois, une petite coupe permet de piler les condiments ou le sel. Bois. Dim. : 27 x 17 cm. Paris, coll. privée. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain.
Les plats, entreposés dans la partie sud-ouest de la maison, étaient utilisés au moment des repas. Les personnages importants mangeaient dans un plat séparé. En bois ou en pierre, les mortiers les plus grands étaient utilisés pour piler le riz ; les plus petits, souvent ornés d’un décor sculpté, ou adoptant des formes figuratives (maison, zébu) servaient à broyer les épices, le sel ou le café. En l’absence de mobilier, ces denrées précieuses, ainsi que les textiles et les menus objets étaient stockés dans des contenants qui, selon leurs dimensions, pouvaient être placés sous le lit ou sur une étagère, de même que les tabatières et les petites boîtes aux formes variées qui faisaient partie des objets personnels, conservées dans la partie nord de la maison, sur des étagères, ou suspendus au-dessus du lit. Un nombre infini de boîtes, de corbeilles, d’étuis, de coffres, de pots sculptés en bambou, en bois ou en fibres végétales tressées étaient ainsi présents dans la maison. Les contenants liés à la consommation des aliments étaient conservés avec les choses vulgaires et triviales, soit au sud-ouest de la maison. Néanmoins, des pots et cruches, des mortiers aux formes raffinées, colorées ou figuratives, marqués donc par un certain prestige, étaient placés en évidence afin d’être vus par les visiteurs lorsqu’ils franchissaient la porte. Les étuis en bambous ou en bois permettaient de conserver des documents roulés ou pliés ou servaient de mesure à riz.
À la fois objets personnels et objets de prestige lorsque le manche était sculpté, les cuillères étaient aussi impliquées dans les rites et les cérémonies où la nourriture était partagée collectivement. Elles étaient conservées avec soin dans des étuis en vannerie. Les cuillères dont le manche est orné d’une petite figure féminine sont les plus rares. Elles évoquent la fertilité, la prospérité et le lignage et étaient sans doute réalisées pour les chefs. Ajourées et ornées de motifs géométriques ou de formes évasées, certaines font apparaître des têtes de zébus très stylisées, ou des oiseaux qui se font face, tels les ibis malgaches (Threskiornis bernieri) qui rappellent la silhouette de certains poteaux funéraires sakalava.
Apanage des femmes, la vannerie est l’un des arts les plus réputés à Madagascar. Elles réalisent, depuis des siècles, des vêtements, d’abondantes coiffes — au XVIIIe siècle, il semble que de petits chapeaux étaient portés seulement par les personnes de la famille royale ou lors de cérémonies —, des nattes, des paniers et des étuis aux formes diverses. Suivant les régions, différentes manières de tisser, de tresser et de nombreux matériaux : jonc, coton, raphia, feuilles de palmes et paille de riz sont utilisés. Les vanneries, utilisées également dans l’architecture pour la réalisation de panneaux fermant l’espace de la maison sont robustes, d’une grande finesse et d’une souplesse extraordinaire.
Les bijoux en argent portés par les hommes comme par les femmes sont mentionnés par les navigateurs portugais qui abordèrent l’île pour la première fois en 1500. Bracelets, perles de métal, ornements d’oreilles présentent des motifs marqués par l’influence stylistique des arts précieux de la péninsule arabique, de l’Inde et de l’Indonésie. Avant le XVIe siècle, l’argent était apporté par les Arabo-Swahilis, acteurs majeurs des échanges dans l’océan Indien. Entre le XVIe et le XXe siècles, le métal précieux provient d’Amérique, avec les pièces de monnaies espagnoles et portugaises puis, d’Europe, avec les thalers à l’effigie de Marie-Thérèse d’Autriche.
En toute occasion, profane ou sacrée, la musique, les chants et les danses étaient présents. L’accordéon et le violon sont européens, les flûtes et les luths sont arrivés avec les voyageurs arabes et les tambours renvoient au continent africain. Comme pour tous les arts à Madagascar, ces éléments extérieurs ont été adoptés, adaptés et sans cesse réinventés pour aboutir à des créations originales. Instrument de culte utilisé lors des cérémonies religieuses et des séances de guérison par spiritisme, puis instrument de la Cour, la vahila est, au même titre que la langue et le lamba, un des éléments unificateurs de l’île. À l’origine, cet instrument était constitué d’un large bambou dont l’écorce était incisée en bandes verticales et étroites formant des lamelles. Ces lamelles étaient soulevées par de petits chevalets en bois ou en courge formant ainsi des sortes de cordes que les musiciens pinçaient, remplacées, plus tard, par des cordes tendues. La valiha aurait été introduite sur le territoire au premier millénaire après J.-C. par des populations originaires du Sud-Est asiatique. Appelée aussi marovany dans le sud du territoire, volo dans les hauts plateaux ou encore vata à l’est, on retrouve cet instrument traditionnel dans presque toutes les régions de Madagascar. Mikitika (toucher-pincer), mandrangotsy (griffer), mitipaky (donner des coups), mamango (frapper), sont autant de techniques pour jouer et faire vibrer sa palette sonore. Objet fragile et technique, il est le résultat d’un savoir-faire minutieux.
La domestication du zébu, animal emblématique venu du continent africain, vers le Xe siècle, a modifié à la fois l’environnement — avec l’aménagement de zones de pâturages — et l’histoire du pays, la possession d’un cheptel étant un élément de richesse et de pouvoir. Symbole de prestige, l’animal, célébré lors des cérémonies et des cultes, bénéficie également d’un statut sacré. Placé par exemple sur la pointe d’une lance, il fait d’un objet à la forme offensive, une canne honorifique. S’il était symbole d’une réussite sociale et d’un soutien des ancêtres, le plus important était de redistribuer cette richesse sous forme de prêt (pour le piétinage des rizières), de dons (lors des funérailles ou des exhumations) ou d’offrandes, lors des cérémonies lignagères et/ou claniques à caractère ostentatoire. Le zébu de Madagascar (Bos indicus), est un bovidé domestique qui accompagnait toutes les étapes de la vie des habitants. Les sacrifices d’animaux, le mufle orienté vers le nord-est, étaient indispensables lors des cérémonies qui ponctuaient la vie d’un individu ou de celle de la communauté. Naissances, fiançailles, mariages et funérailles étaient autant d’occasion de sacrifier, d’échanger ou de consommer des bovins. Les couteaux en métal, dont le manche est surmonté de petites figurines, étaient employés pour égorger les animaux. Certains morceaux de la carcasse, réservés aux ancêtres dans des plats rituels, étaient jetés sur un brasier. La fumée qui s’en dégageait était censée attirer les ancêtres et c’est alors que les prières et les invocations leurs étaient adressées par le chef de famille.

Plat, Madagascar, avant 1990. Bois monoxyle. Dim. : 19,5 x 37,2 x 26 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain. Inv. 71.1990.57.74.
Ces plats rituels comportent quatre pieds et des anses de préhension. Cela permettait d’orienter le récipient en fonction des points cardinaux, aucun des objets utilisés lors des rites et des cérémonies n’étant placé de façon aléatoire.Les zébus jouaient également un rôle crucial dans diverses cérémonies ainsi que lors des cultes de possession connus sous le nom detrombaou de bilo. Le terme « tromba », d’origine sakalava désignait une possession bénéfique où le dialogue avec les ancêtres se faisait à travers les sacrifices mais aussi par les rêves et la transe permettant d’implorer les conseils d’un esprit pour régler un problème. Le « bilo», terme d’origine betsileo était une sorte de rituel d’exorcisme.Une mauvaise santé physique ou psychique persistante indiquait qu’une personne était la proie d’un esprit malveillant. Le malade était fêté comme s’il était déjà un ancêtre et une statuette était sculptée, une partie de l’écorce restant en place. Cette figure servait de réceptacle au mal et était jetée à l’eau.
Au plus près des frontières avec les espaces invisibles, les astrologues et les devins officiaient pour guider et protéger les membres de la communauté. C’est l’ombiasy, cumulant la fonction de devin et de guérisseur, qui diagnostiquait le problème et qui élaborait le remède à placer dans le réceptacle — une corne, une boîte, une bouteille ou un petit récipient orné d’un visage sculpté— ou déterminait les éléments à assembler en collier. Charmes et amulettes odyet moharapréservaient l’individu, apportaient guérison ou succès à leurs détenteurs, tandis que les talismans sampyassistaient un groupe. Les ody n’étaient pas tous destinés à être portés. Certains pouvaient être pendus au panneau en roseau constituant le mur de la maison pour favoriser, par exemple, l’accroissement des troupeaux. Les éléments composant la charge magique de ces charmes provenaient du monde végétal (racines, graines, tronçons de bois, écorce), du monde minéral (terre, cornaline, agate et calcédoine) et du règne animal (corne, peau, poils, griffes, dents, coquillages, miel, graisse de zébu, plumes). À ces matériaux s’ajoutaient des pièces manufacturées (tiges de fer, ciseaux, clous, perles de verre, argent) et des figurines qui font directement allusion à des relations familiales ou amoureuses.
Les perles détenaient un double rôle, à la fois ornemental et protecteur. Considérées comme des biens précieux, elles étaient appelées harea (fortune) et dotées de hasina (vertu ou sacralité). La présence de ciseau ou de lames de couteau était liée à une demande de séparation, à l’idée de se débarrasser de quelqu’un ou de quelque chose. Les ody mohara sont constitués d’éléments très divers mais ils se caractérisent par un contenant en véritable corne de bovidé ou en bois sculpté en forme de corne gainée d’un perlage de verre à motifs de triangles et de losanges. Ceux comportant une petite figurine anthropomorphe étaient sans doute les plus puissants. La petite sculpture émergeait de l’amalgame qui assurait l’efficacité de l’objet de façon à être toujours visible. Ceux comportant des figurines féminines, dénommés ody fitia, étaient en général considérés comme des charmes d’amour tandis que les couples enlacés ne laissent aucun doute sur la nature des demandes formulées auprès de l’ombiasy. Le crocodile, animal redoutable, est souvent représenté ou est un des éléments entrant dans la composition de talismans protecteurs. Les ody composés d’une mâchoire de saurien recouverte d’un perlage avaient pour objectif de neutraliser le danger lors du passage d’une rivière ou d’un lac.

Amulette, ornement de circoncision (note de G. Grandidier), Mérina, Madagascar, avant 1974. Dents de crocodiles, bambou, tissu et perles de verre. Dim. : 12,5 x 32 x 5,5 cm. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain. Inv. 71.1974.63.26.
Les figurations de crocodile sont aussi liées au pouvoir et à la richesse que peuvent apporter les objets puissants. Certains de ces réceptacles étaient destinés aux reliques royales. Les cheveux, les ongles, les poils de barbes des souverains et des personnages importants étaient conservés dans ce type très particulier de reliquaire. Les dents de crocodiles qui y étaient fixées symbolisaient l’appartenance au rang royal de son propriétaire. Les dents étaient parfois remplacées par des imitations en argent ou en or. Ils étaient portés à la ceinture lors de la circoncision des jeunes nobles. L’initiation des jeunes garçons, et la circoncision qui l’accompagnait, en particulier, chez les Merina, comme parmi d’autres populations malgaches, était le moyen par lequel les hommes “mettaient leurs fils au monde”. Il s’agissait d’un rite de passage incontournable, le moment où, quittant le statut d’enfant lié au monde féminin, les garçons allaient rejoindre le lignage de leur père.Cet exemplaire est composé de dix très grosses dents de crocodile rangées côte à côte dont les sommets sont liés ensemble par une sorte de mastic qui obture six des tubes de bambou qui les prolongent. La face extérieure de la ceinture, en tissu marron, est recouverte d’une bande décorative faite de centaines de petites perles de verre rose, bleu, jaune, marron, bleu-clair, vert et noir.
À l’instar de la vannerie, le tissage est l’un des arts les plus réputés à Madagascar. Les textiles appelés lamba renseignent sur le statut social, illustrent les passages successifs de l’existence et témoignent de la relation que les vivants entretiennent avec les ancêtres. Symbole fort de la culture traditionnelle malgache, cette étoffe est la pièce principale et emblématique du costume traditionnel malgache. Ces grandes étoles rectangulaires qui habillent le corps des vivants comme celui des morts font encore de nos jours l’unité vestimentaire du peuple malgache. Le commun des mortels se contentaient d’un lamba en coton, tandis que les nobles et les plus riches portaient des lambas en soie. Généralement de couleur blanche chez la femme, il est porté sur les épaules et, plus sombre chez l’homme, il est noué autour de la taille. Les plus beaux servent à ensevelir le corps des défunts. Chez les merina (habitants des hauts-plateaux), la tradition veut que la mère lègue son lamba à sa fille, la veille de ses noces. Filés puis tissés à la main, parfois perlés, les matériaux peuvent être très divers : coton, fibres végétales (jonc, raphia, bananier), en soie “domestique” — ou « landikely » des hauts plateaux du Bombyx du mûrier (Bombyx mori) ou ensoie “sauvage” ou « landibe » du Borocera (Boroceramadagascariensis) ou encore celle de la néphile dorée (Nephila inaurata) une espèce d’araignée que l’on trouve dans les Hautes Terres. Les motifs des ikats sakalava sont multiples : anthropomorphes, zoomorphes, géométriques ou cosmologiques. Teints ou ikatés, ils se répartissent, selon les moments de l’histoire, les régions de l’île mais également en fonction des matières utilisées, jusqu’au sens des fibres, des assemblages, des techniques de tissage, des teintures naturelles (noires, rouges, indigo, jaunes et vertes), chaque étoffe possédant un sens et constituant un langage. C’est ainsi que les vêtements de la vie se distinguent de ceux des morts — les rayures se portant horizontalement chez les vivants et verticalement chez les morts —, que le lamba est porté autour des épaules des vivants, dans le sens de la trame, alors que le linceul s’enroule, répondant aux deux axes importants à Madagascar, l’horizontal — celui du pouvoir et de la force, donc de la vie — et le vertical — celui de la spiritualité.

Statuette féminine udi ampela, Antanosy, Madagascar, avant 1891. Bois, perles de verre, collier en perles de verre et boucles d’oreilles en fer. H. : 30 cm. Mission Louis Catat. © Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain. Inv. 71.1891.45.25.
L’art funéraire marque le passage du défunt à son statut d’ancêtre. Les pratiques et le culte qui y étaient attachés avaient — et ont encore — une grande importance dans la culture traditionnelle malgache.Les morts — dont les âmes, bien qu’invisibles, font partie du monde réel et visitent les vivants — ne sont pas écartés de la société et la terre dans laquelle ils sont inhumés est considérée comme sacrée. Les tombeaux, signes ostentatoires de prestige et de richesse pour le défunt et sa famille, souvent monumentaux, jouent un rôle fondamental dans l’hommage qui leur est rendu etsont préparés selon des rites très précis. Pour les Mahafaly, le tombeau représentait le nouveau lieu de vie du défunt, un lieu plus important que lors de son vivant. La disposition des tombeaux suivait les règles du rang social de la famille. L’emplacement des résidences des défunts n’était pas choisi en raison de sa proximité avec le village, mais de l’endroit où la communauté s’était constituée, les tombes s’organisant par quartier et suivant une hiérarchie similaire à celle des villages. Le plus ancien ancêtre était enseveli au sud, et regardait vers le nord ses descendants. Les femmes et les célibataires étaient placés à l’ouest du patriarche. En quelque sorte, les tombeaux représentaient les archives généalogiques de la communauté. L’emplacement où se situaient ces tombeaux était interdit d’accès sans suivre des rituels stricts particuliers à chaque ethnie, à l’exception de la cérémonie d’enterrement et pour chercher les troupeaux égarés. Au temps des royaumes, ces tombeaux étaient réservés aux souverains, à leur famille et à la noblesse. Les bouleversements introduits au XIXe siècle par la présence européenne, avec la déstabilisation des anciens systèmes, permirent à de plus en plus de familles roturières d’en bâtir, gages d’une forte identité sociale.En fonction des régions et des ethnies, les tombeaux adoptèrent des formes variées : larges dalles en pierre, accumulation de blocs, monolithes, édicules, enclos fermés par des palissades, érection de poteaux en bois… ces éléments délimitant le lieu où vivent les morts. Aujourd’hui, les tombes sont construites en béton, petits bâtiments aux murs couverts de peintures figuratives aux couleurs vivesreflétant la vie du disparu. Selon les moyens de la famille, les défunts étaient extraits de leurs sépultures, plus ou moins souvent, pour changer le linge dans lequel ils étaient enveloppés. L’occasion d’une fête rituelle joyeuse durant laquelle les restes de l’ancêtre étaient portés en dansant sept fois autour de sa tombe, avant d’y être redéposés. Forts de cet hommage renouvelé, ils protégeaient leur descendance et lui assuraient fertilité.
La sculpture funéraire est le reflet de la société : aux figures traditionnelles liées à la fécondité, comme les représentations féminines nues, se mêlent des éléments modernes, telle que la représentation de personnages habillés en colon. Certaines ethnies, en particulier, les Mahafaly et les Sakalava, ont développé un art très raffiné, avec des superpositions de formes géométriques et de scènes figuratives. Les poteaux funéraires aloalo, chez les Mahafaly, sont composés de motifs figuratifs et d’une succession de croissants opposés évoquant peut-être des oiseux affrontés stylisés, des cercles ou des anneaux, des losanges et des polygones. Les tombeaux sakalava étaient constitués d’une enceinte rectangulaire dont les angles comportaient des sculptures anthropomorphes et zoomorphes reliées par des traverses en bois dont la face supérieure était sculptée de frises d’animaux et de symboles de richesse. Figures féminines et masculines étaient placées face à face, mais chacune au bout d’une diagonale qui traversait la structure. Les figures féminines étaient systématiquement érigées dans les angles sud-ouest ou nord-ouest, les figures masculines au sud-est et au nord-est. Si les personnages représentés expriment la réussite sociale des disparus, ils ne sont pas leurs portraits. Les figures féminines et masculines, parfois enlacées, évoquent la fécondité, la richesse ou le lignage. Une femme et son enfant figurent la régénération et l’annonce d’une nouvelle vie. Les représentations d’oiseaux sont nombreuses. Ibis, canards à bosse, spatules et autres échassiers sont connus comme étant très prolifiques et sont donc un symbole de fécondité. Ils sont également associés à la ligne de partage avec le monde de l’au-delà. Au sommet des poteaux, ils évoquent l’âme des ancêtres. Le zébu, animal emblématique, évoque la richesse, la prospérité et le pouvoir que constituent la possession de bétail et les sacrifices des bovins immolés en l’honneur des ancêtres pour assurer la protection de leurs âmes et des descendants du défunt. Certains poteaux funéraires de section carrée, décorés de zébus et de motifs géométriques en relief étaient surmontés d’un plateau où étaient exposés les bucranes des zébus immolés. Parmi les figures qui ornent les tombeaux, certaines représentent des guerriers qui font partie d’un ensemble en rapport avec la vie du défunt. Toutefois, plusieurs grandes statues ont été conçues davantage comme de puissants gardiens de sépultures. Ces œuvres funéraires monumentales, majestueux hommages aux ancêtres, illustrent une singulière vision de la mort, perçue comme un autre voyage.
L’art et l’histoire de l’art de Madagascar ont été profondément marqués par la présence coloniale, notamment française, pendant plus d’un demi-siècle. La peinture, qui peine à̀ s’affranchir de son origine européenne, est introduite dans le royaume d’Imerina, par Radama 1er, en 1826, lorsqu’il fait réaliser son portrait par le peintre français André Coppalle (1797-1845). Il s’agit alors d’adopter un mode de représentation équivalent à̀ celui des homologues européens. La peinture est, dès l’origine, utilisée comme un outil de pouvoir au service de la mise en scène de la monarchie. Les peintres malgaches supplantent d’ailleurs, dès les années 1850, les peintres étrangers. En 1913, une école de peinture ouvre dans la capitale et, en 1922, commence celle des Beaux-Arts, sur le modèle français. La peinture des Beaux-Arts est marquée par l’individualisation des modèles et un certain réalisme et le paysage, calqué sur les canons esthétiques européens, devient un genre à part entière. Quelques années plus tard, les Ateliers d’Arts Appliqués Malgaches (A.A.A.M.), fondés par Pierre Heidmann (1892-1983), artiste-décorateur français,en 1928, incitent les peintres, ainsi que les sculpteurs, à se détacher des imitations européennes, en privilégiant les sujets locaux, traités de façon plus stylisée ou décorative. Cette modernisation alimente un marché de l’art qui connaitra un grand engouement auprès des Européens comme des Malgaches et, dans le même temps, sa dépréciation, car cet art sera rapidement qualifié d’artisanat. La photographie, en dépit de la méfiance de la reine Ranavalona Ière envers les Européens et cette nouvelle technique artistique, fait son entrée à Madagascar en 1856, importée par le biais du révérend William Ellis (1794-1872) de la London Missionary Society, une société missionnaire britannique vouée à̀ l’évangélisation en terres lointaines. Après des débuts difficiles, la photographie trouve rapidement sa fonction dans la haute société. D’abord crainte, elle est rapidement assimilée, puis convoitée. Le fils de la reine Ranavalona Ière, qui régna brièvement de 1861 à 1863, sous le nom de Radamma II, nomma d’ailleurs un photographe officiel de la cour. Les clichés de la fin du siècle sont, dans leur grande majorité, réalisés par des missionnaires et des photographes œuvrant pour des missions scientifiques ou militaires tels qu’Alfred Grandidier (1836-1921) qui est envoyé, en 1869, par le Museum d’Histoire Naturelle ou le Docteur Louis Catat (1859-1933) chargé d’une mission scientifique par le ministère de l’instruction publique, en 1889. Les photographies de cette époque comptent parmi les témoignages les plus importants de la période coloniale. Parallèlement, apparaissent des studios de professionnels dont le nombre ne cesse peu à peu de s’accroître. À partir des années 1920, les premiers photographes malgaches s’établissent et répondent aux commandes de clients aisés de portraits réalisés en studio ou en extérieur. La photographie devient une pratique sélective, accessible seulement aux membres de la maison royale, aux dignitaires et aux gens aisés de la période coloniale, qui en font un véritable outil de distinction sociale.
Par le dynamisme des expressions contemporaines et la force des œuvres antérieures, les arts de Madagascar n’appartiennent pas au passé. À la croisée des mondes, se déployant sans contraintes de style ou de motifs, ils ne peuvent être comparés à ce qui se fait ailleurs et révèlent ainsi toute leur singularité.
Madagascar. Arts de la grande île. Musée du quai Branly (18 septembre 2018-1er janvier 2019). Commissaire : Aurélien Gaborit, historien de l’art, responsable des collections Afrique et du Pavillon des Sessions (musée du Louvre).
Bellissimo lavoro!
Elio