
Masque, village de Watam, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres et pigments. H. : 55 cm. Collecté par Lan a Goan de la Neu Guinea Compagnie en 1900. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 21428. Photo Martin Franken.
Parmi les régions d’Océanie les plus étonnantes dans le domaine artistique, figure la contrée du fleuve Sepik, qui représente, sans conteste, un des grands noms de l’art océanien avec des sculptures remarquables pour leur singularité et la diversité de leurs formes. Le Sepik, le plus long cours d’eau de Papouasie Nouvelle-Guinée, se situe au nord-est de l’île et s’étend sur 1 126 km avant de se jeter dans l’océan Pacifique. Vaste zone marécageuse, sa vallée abrite des populations qui vivent sur les berges ou dans des zones proches du fleuve et de ses affluents.
Cette contrée est à l’honneur à travers deux expositions : Tanz der Ahnen. Kunst vom Sepik in Papua-Neuguinea – “La danse des ancêtres”. L’art du Sepik en Papouasie Nouvelle-Guinée, Berliner Festpiele Martin-Gropius-Bau, Berlin (18 mars-14 juin 2015), Stadt Zürich, Museum Rietberg (10 juillet-4 octobre 2015), Musée du quai Branly, Paris (27 octobre 2015-7 février 2016), dont les co-commissaires sont Philippe Peltier (responsable de l’Unité patrimoniale Océanie-Insulinde au musée du quai Branly) et Markus Schindlbeck (responsable des collections Océanie et Australie au musée d’Ethnologie de Berlin) et Christian Kaufmann (conservateur honoraire), comme conseiller scientifique ;
Myth + Magic. Art of the Sepik River, Papua New Guinea, organisée à l’occasion du 40e anniversaire de l’indépendance de l’île par la National Gallery of Australia, Canberra (7 août-1er novembre 2015), dont le commissaire est Crispin Howarth.
La Papouasie Nouvelle-Guinée est une grande île montagneuse aux nombreux fleuves sinueux, à laquelle s’ajoutent plusieurs îles et archipels, partie intégrante de la Mélanésie. Située au nord-est de l’Australie, d’une large superficie (plus de 1 200 000 km2), elle est compacte, difficile d’accès, politiquement divisée entre, à l’ouest, le Papua Barat (ex-Irian Jaya), province contestée de l’État indonésien, et, à l’est, la Papouasie Nouvelle-Guinée, indépendante depuis 1975 — en 1949, les deux territoires composants la moitié orientale de l’île, le territoire de Nouvelle-Guinée au Nord et le territoire de Papouasie au Sud furent réunis et, en 1972, le nom fut changé en “Papouasie Nouvelle-Guinée” (la moitié occidentale, dénommée Nouvelle-Guinée Hollandaise jusqu’en 1962, puis Irian Jaya, est constituée des provinces indonésiennes et de la Papouaise occidentale).

Crâne surmodelé, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée, XIXe-XXe siècle. Crâne, terre, ocre, cheveux et fourrure. Dim. : 24 x 20 x 25 cm. © Australian Museum, Sydney. Don Miss Ramsay-Smith, 1937.

Frise porte-crânes avec crâne surmodelé, Iatmul, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée. Pétiole de sagoutier, fibres, rotin, pigments, crâne surmodelé et plumes. L. : 180 cm. H. : 84 cm. © Musée du quai Branly, Inv. 72.1964.11.9.1. Photo C. Germain.
Ce fleuve représentait à la fois un espace nourricier, déterminant du mode de vie des habitants — souvent liés par d’intenses réseaux d’échanges de biens et d’idées —, et à la fois un moyen de transport et une menace par la présence de nombreux crocodiles et les crues saisonnières. Une immense diversité de cultures et de langues (papoues et malayo-polynésiennes) s’y est développée au cours des millénaires. Les régions du moyen et du bas Sepik comptent à elles seules quatre-vingt dix langues différentes. Ces langues témoignent d’une longue implantation mais, n’étant pas nécessairement en relation les unes avec les autres, on peut difficilement considérer le peuplement de cette région comme homogène. Quelques groupes de langue sont limités à un village regroupant trois ou quatre cents habitants, d’autres, beaucoup plus vastes, sont divisés en sous-groupes. Si les traces d’occupation les plus anciennes ont été découvertes au nord du fleuve, dans une caverne, près de Serapa, et dateraient de 14.000 ans, l’histoire transmise oralement remonte à plusieurs générations, peut-être jusqu’au XVIIe siècle ou au-delà. Elle fait état de l’implantation de villages, de migrations, de campagnes militaires, de l’établissement de relations d’échanges entre villages et, plus récemment, de la rencontre avec les étrangers à la peau blanche.

Crochet, village de Yentchanmangua, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, coquille d’huître perlière et fibres. Dim. : 73 × 166 × 45 cm. Collecté par Adolf Roesicke lors de la Kaiserin-Augusta-Fluss-Expedition de Berlin, 1912-1913. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 54998. Photo Claudia Obrocki.
Sa vaste palette de paysages et de climats et la complexité de son histoire se reflètent dans ses particularités culturelles et dans la variété de ses traditions artistiques. Sa faune et sa flore sont particulièrement foisonnantes (trente-cinq espèces d’oiseaux de paradis, une cinquantaine de chauve-souris…). Dans cet immense pays, l’art, qui s’inspire de toutes ces formes animales et végétales, fait partie intégrante de la vie religieuse, sociale et politique. Il est l’élément indispensable au maintien des relations entre le monde terrestre et le monde surnaturel, les ancêtres et les puissances néfastes. Il constitue également un signe de prestige social pour l’individu ou le groupe qui crée ainsi, à la fois une identité commune et à la fois un moyen de se différencier de ses voisins. Longtemps restée à l’écart de toute influence occidentale, l’île est occupée par des peuples réputés peu commodes mais qui ont tous un sens aigu de la parure.

Peinture, rivière Keram, Kambot, Papouasie Nouvelle-Guinée. Pétiole de sagoutier, rotin, fibres et pigments. Dim. : 280 × 10 × 105 cm. Acquise par voie d’échange avec l’Ethnologisches Museum de Berlin en 1937. © Rautenstrauch-Joest-Museum, Cologne, Inv. 40683.

Panneau de mosaïque de plumes, Kambot, village de Kambaramba (Kumbragumbra), Papouasie Nouvelle-Guinée. Fibres, rotin et plumes. H. : 88 cm. Collecté probablement par Richard Thurnwald, acquis en 1913. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 38609. Photo Claudia Obrocki.
Les objets provenant de ces régions témoignent d’un univers plastique extrêmement varié et d’une grande originalité, aussi bien dans les thèmes, les matériaux utilisés que dans les formes, aux fonctions les plus diverses. Savamment agencés et ornés de motifs incisés, ajourés, rehaussés de chaux blanche ou d’ocre rouge, ils sont très souvent élaborés à l’aide de matériaux composites — la pluralité des techniques pour une même œuvre est courante —, bois, écorces, tissus, plumes, insectes, poils, os humains ou animaux, résines, l’inventaire est infini. Une autre caractéristique de la Papouasie Nouvelle-Guinée est la coexistence de tendances stylistiques différentes à l’intérieur d’une même société avec, pour conséquence, qu’on ne peut jamais en donner un tableau exhaustif réellement conforme à la réalité, sans oublier les liens avec la Mélanésie et l’Asie du Sud-Est. De la même façon que la langue, les productions étaient sujets à altérations et variations et matière d’échanges et d’utilisations différentes dans d’autres lieux. Par exemple, des bracelets en écaille de tortue étaient portés sur la côte, où ils étaient fabriqués, alors que, dans la région du cours moyen du Sepik, ils étaient fixés, horizontalement, à l’arrière de larges masques ou au vêtement de la jeune mariée.

Masque, village de Watam, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres et pigments. H. : 55 cm. Collecté par Lan a Goan de la Neu Guinea Compagnie en 1900. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 21428. Photo Martin Franken.

Masque brag, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigment rouge. H. : 68,5 cm. Collecté à Potsdamhafen par la Neuguinea-Kompagnie. Ex-coll. Arthur Bässler, acquis en juillet 1899. © Linden-Museum Stuttgart, Staatliches Museum für Völkerkunde, Inv. 6102. Photo Anatol Dreyer.
Dès la première moitié du XIXe siècle, commerçants et planteurs ont investi le Pacifique, établissant des comptoirs, notamment à Samoa et en Mélanésie, obtenant des concessions des chefs indigènes pour l’exploitation des richesses locales. Dans les années 1870, les maisons de commerce allemandes sont à la tête de grandes plantations et occupent une place prépondérante dans le commerce régional, en particulier J.C. Godeffroy & Sohn, de Hambourg, qui sillonne l’Amérique Centrale, les Caraïbes et le Pacifique avec ses vingt-sept navires. En 1878, la pratique consistant à nommer consuls les agents des firmes allemandes se généralise, entremêlant étroitement les intérêts nationaux et commerciaux. À la suite de la prise de possession officielle de la Nouvelle-Guinée et de l’archipel Bismarck par l’Allemagne, en 1884, par la Deutsche Neuguinea-Kompagnie, office commercial en charge de l’administration de ces nouveaux territoires, cette région est alors dénommée Kaiser-Wilhems-Land (« Terre de l’Empereur Guillaume »), l’ouest étant occupé par les Néerlandais et le sud-est par les Britanniques (à l’issue de négociations bilatérales), et l’archipel Bismarck au nord-est où les Allemands implantèrent le port de Rabaul, qui deviendra le siège de l’administration impériale locale en 1905.

Ornement de danse, village de Kararau, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigments. Dim. : 44 x 2,5 x 35 cm. Collecté par Adolf Roesicke lors de l’expédition de Berlin, 1912-1913. © Berlin, Ethnologisches Museum, Inv. VI 38448. Photo Martin Franken.

Amulette de danse, rivière Yuat, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, coquillages nassa et pigment. Don d’Anna Merk-Ikier, 1925. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 42257. Photo Claudia Obrocki.
Le capitaine Eduard Dallman (1830-1896) et Otto Finsch (1839-1917), ornithologue, ethnologue et pionnier dans l’expansion coloniale allemande (directeur du musée d’histoire naturelle et d’ethnographie de Brême en 1876), furent les premiers à explorer le fleuve Sepik, en 1885 (à partir de son embouchure et sur une courte distance). Finsch le baptisera Kaiserin Augusta, en hommage à la princesse Augusta de Saxe-Weimar (impératrice allemande de 1871 à 1888). Il faudra attendre 1913 pour que le premier poste administratif allemand soit installé, sur le cours inférieur du Sepik, à Angoram.

Crochet, village de Kaminimbit (Kamandimbit), Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigments. H. : 152 cm. Collecté avant 1925 par le père Franz Kirschbaum, Société du Verbe-Divin. © Governatorato dello Stato della Città del Vaticano – Direzione dei Musei, tous droits réservés, Inv. 100441.
Les missions jouèrent également un rôle important dans la connaissance de cette région. La Société du Verbe Divin (Missionhaus St. Michael, Steyl), fondée en 1875 par Arnold Janssen, dépêcha, en 1895, les pères Eberhard Limbrock, Joseph Erdweg et Franz Vormann qui s’installèrent à Aitape. La station missionnaire de Marienberg, dirigée par le père Franz Kirschbaum (1882-1939), s’installa sur le Sepik en 1913, au-dessous d’Angoram. Avec l’aide d’indigènes ils étudièrent les langues, s’intéressèrent à la géographie et s’attachèrent à consigner leurs observations ethnographiques, emboîtant les pas du père Wilhelm Schmidt, fondateur de l’Anthropos Institute. Une importante collecte, réalisée en 1924 par le père Franz Kirschbaum, est aujourd’hui conservée au musée du Vatican.
Très tôt — en 1886, s’ouvre à Berlin, au Königlichen Museen für Völkerkunde (aujourd’hui l’Altes Museum), une exposition des pièces recueillies par la Deutsche Neuguinea-Kompagnie —, cette région inconnue du monde, devient alors un lieu d’exploration important. Les plus anciennes acquisitions que l’on peut admirer proviennent de la partie ouest de l’île, il s’agit des collectes du célèbre Richard Parkinson (1844-1909) qui rapporta, à Dresde, en 1886, les premiers témoignages de la culture du fleuve Sepik. Le russe Nikolai Miklouho-Macklay (1846-1888) qui séjourna sur la côte nord-est, en 1886, y constitua des collections aujourd’hui conservées au Musée d’ethnographie et d’anthropologie Pierre-le-Grand (Kunstkamera) de Saint-Pétersbourg. L’exploration de l’intérieur est lente et difficile, les objets proviennent surtout du littoral et des îles. La collection de l’italien Luigi Maria D’Albertis (1841-1901), qui fut le premier à explorer la rivière Fly, en 1876, est présentée au musée d’ethnographie de Rome. Du golfe de Papouasie à la région Massim, un nombre considérable d’objets arrivent dans les musées anglais, tels que le Pitt-Rivers, installé à Oxford, en 1884, ou celui de Cambridge qui accueillit les objets de la Torres Strait Expedition, dirigée en 1898 par Alfred Cort Haddon (1855-1940).

Masque mwai, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée, XIXe ou tout début du XXe siècle. Bois, fibres, coquillages et pigments. H. : 53,5 cm. Collecté par le capitaine Haug, 1909. © South Australian Museum, Adélaïde.

Masque, rivière Yuat, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée, XIXe siècle. Bois, fibres, coquillages et pigment. Dim. : 40,6 x 23 x 19 cm. © National Gallery of Australia, Canberra. Achat 2010.
En Allemagne, les expéditions — qui permettront de collecter un matériel considérable, dont des pièces de l’intérieur de l’île — reprennent, à partir de 1905. Trois d’entre elles furent particulièrement importantes. La Hamburger Südsee-Expedition, 1908-1910, une expédition scientifique dans les territoires de Micronésie et de Mélanésie administrés par les allemands, coordonnée par Georg Christian Thilenius (1868-1937) (directeur du musée d’ethnographie de 1904 à 1935), dont les principaux membres furent Friedrich Fülleborn (1866-1933), Otto Reche (1879-1966) et Wilhelm Müller-Wismar (1881-1916). Plusieurs milliers d’artefacts furent collectés et les données scientifiques recueillies remplirent vingt-trois volumes dont l’édition fut achevée après la Première Guerre mondiale. La deuxième, celle d’Otto Schlaginhaufen (1879-1973), dura quinze jours, en juillet 1909, et enrichit les collections du musée d’ethnographie de Dresde. Vient enfin, en 1912-1913, la fameuse Kaiserin-Augusta-Fluss-Expedition, commanditée par le musée ethnographique de Berlin, à laquelle participèrent le chimiste et anthropologue Adolf Roesicke (1817-1886), le géographe Walter Behrmann (1882-1955) et le juriste et ethnologue Richard Thurnwald (1869-1954).

Siège d’orateur kawa tagat, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, terre, cheveux, coquillages marins et terrestres et pigments. H. : 76 cm. Donation Eduard von der Heydt, ex-coll. Arthur Speyer, 1937. © Museum Rietberg, Zürich, Inv. RME 110. Photo Rainer Wolfsberger.
Toute action, qu’elle appartienne à la vie quotidienne ou qu’elle soit plus exceptionnelle pouvait être prétexte à une cérémonie, les plus importantes étant celles réservées à l’initiation des jeunes garçons, mises en scène complexes qui tenaient à la fois du théâtre et de l’épreuve. Le « panthéon » papou reposait sur la croyance dans la puissance et le pouvoir des esprits, en particulier ceux des ancêtres. Cycle incessant entre vie et mort, entre création et destruction, la vie des individus était basée sur l’observation du rythme de la nature, l’homme en étant à la fois l’acteur et le subordonné. Il était donc important de maintenir de bonnes relations entre les mondes visible et invisible pour assurer le bien-être des humains et l’équilibre de la nature. À cet effet, la vie des communautés était jalonnée de rites et de symboles soulignant cette unité avec l’univers. Le monde invisible était illustré ou symbolisé par des objets qui étaient au cœur même des rites, ou qui participaient à de petites ou grandes cérémonies, considérées comme nécessaires à la survie du groupe, sculptures figurant des ancêtres et des esprits protecteurs, masques, costumes, instruments de musique, amulettes, etc. Outre les êtres humains, on trouve de nombreuses représentations d’animaux, surtout des reptiles, des poissons et des oiseaux, très présents sur les objets rituels ou usuels de toutes dimensions.

Planche malu semban, Iatmul, village d’Angriman (Angerman), Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigments. H. : 208 cm. Collectée lors de la Kaiserin-Augusta-Fluss-Expedition de Berlin, 1912-1913. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. VI 46172. Photo Claudia Obrocki.
Chaque œuvre, éphémère ou pérenne, était porteuse de sens. Pour être comprise de ceux auxquels elle était destinée, elle était soigneusement codifiée, considérée comme un message dont le sens variait selon les matériaux, les couleurs et les formes utilisés. Certaines sculptures, masques et crânes étaient surmodelés avec de la terre et ornés de coquillages et de cheveux qui renforçaient l’effet naturaliste. Cette terre, mélange d’argile, d’huile ou de latex, était dénommée yimba en langue iatmul. Les deux matériaux employés, l’argile et le bois, faisaient référence, respectivement, aux deux substances à l’origine des corps : le sang et le sperme. Suivant la conception iatmul, le sang, apporté par la mère, se transformait en chairs tandis que le sperme, donné par les hommes, créait les os de l’enfant à naître.

Bouchon de flûte, Wusear, Biwat, rivière Yuat, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée, début du XXe siècle. Bois, coquillages, cheveux et ocre. H. : 57 cm. Collecté par Sir William Dobell, vers 1950. Coll. Elizabeth Pryce.

Bouchon de flûte, Biwat, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres, plumes de casoar, dents, cauris, nassa, écaille de tortue et pigments. H. : 73 cm. © Museum der Kulturen, Bâle, acquis en 1976, ex-coll. Arthur Speyer, Lorenz Eckert, Patricia Withofs, Ernst Beyeler. Inv. Vb 2906. Photo H. Dubois.
Dans les villages installés sur les berges, dominés par de larges et majestueuses maisons des hommes érigées sur des allées accessibles aux seuls initiés, tous les objets, des plus petits aux plus grands, des plus ordinaires aux plus sophistiqués, étaient susceptibles d’être sculptés, gravés ou peints. Les objets usuels eux-mêmes, tels les sièges et les repose-tête, revêtaient des formes particulières dont la plus courante était celle du crocodile, animal mythique admiré pour sa force, sa quiétude et sa vivacité. Sculptures en trois dimensions ou surfaces simplement ornées, les artistes les recouvraient de décors géométriques composés de courbes et de contre-courbes. Les motifs en forme de « S » étaient peut-être l’expression d’un lien, auquel rien ni personne ne pouvait échapper, entre le ciel et la terre, entre le haut et le bas, entre le monde supérieur et le monde inférieur. Parfois d’une extrême complexité, certaines représentations aux figures entremêlées offrent une double lecture, jouant à la fois de l’accumulation des signes et à la fois de leur capacité à métamorphoser une forme en une autre, d’où une multiplicité de sens et d’interprétations. Ce qui, au premier regard, semble être une simple figuration d’oiseau peut révéler une image plus sophistiquée, certains éléments pouvant être lus, à leur tour, comme ceux d’un crocodile, eux-mêmes reprenant les éléments de l’oiseau, entraînant une lecture en cascade. Une série d’entrelacs peut cacher une ou plusieurs figures animales… Les signes accumulés sur ces objets ne doivent pas être lus comme des éléments iconographiques, mais doivent plutôt être considérés pour les effets qu’ils produisent, l’art étant conçu comme un moyen d’action sur le monde et non pas comme sa transcription symbolique. La richesse de l’art du Sepik réside particulièrement dans cette capacité à jouer de la métamorphose, à multiplier les sens des objets au point, parfois, d’en brouiller le déchiffrement, ce qui n’était pas pour déplaire aux Surréalistes qui y trouvèrent un univers symbolique proche du leur, merveilleux et complexe.

Masque de façade, village d’Angriman (Radja), Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigments. Dim. : 93 x 15 x 68 cm. Collecté par le capitaine Friedrich Haug et offert en 1909. © Linden Museum, Stuttgart, Staatliches Museum für Völkerkunde, Inv. 63214. Photo Anatol Dreyer.

Masque de façade, village de Simar/Abramar, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, rotin et pigments. Dim. : 67 × 7 × 37 cm. Collecté par Otto Schlaginhaufen le 2 août 1909. © Museum für Völkerkunde, Dresde, Inv. 25010. Photo Hans-Peter Klut.
L’architecture des maisons des hommes était conçue comme une métaphore du corps d’un ancêtre primordial, ancêtre masculin dans le bas Sepik, ancêtre féminin dans le moyen Sepik. Les crues saisonnières du fleuve obligeant la surélévation des planchers des maisons, l’ensemble était supporté par de larges poteaux, ce qui en faisait, eu égard à leur taille, des œuvres impressionnantes. Certains étaient sculptés de la figure entière d’un ancêtre — parfois tirant la langue, signe d’agressivité et de force — symbolisant la puissance de la maison. Sur le fût, apparaissent des chevrons évoquant les rides qui parcourent, sous l’effet du vent, la surface du fleuve. Le toit s’achevait par un éperon couronné d’un épi de faîtage. Quant à la façade, elle pouvait être ornementée de bandes alternant des feuilles claires et foncées.

Crochet kipma tagwa, village de Torembi, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée, XIXe siècle. Bois, coquillages et pigment. H. : 104,5 cm. © National Gallery of Australia, Canberra. Achat 2014.
Leurs hauts pignons étaient ornés de grands masques en vannerie ou en bois destinés à protéger la communauté des forces malveillantes. Ces édifices, strictement interdits aux femmes, étaient le centre rituel et politique du village. Ils abritaient les secrets du clan qui étaient transmis à la jeune génération masculine au cours des cérémonies d’initiation se déroulant à l’intérieur et à l’extérieur. Les hommes y discutaient des affaires de la communauté et confectionnaient les objets qui servaient aux rituels. L’intérieur donnait parfois l’impression de foisonnement, de nombreux objets étant suspendus aux poutres, accrochés aux poteaux ou plus simplement posés sur le sol. Toutes les surfaces disponibles pouvaient être sculptées ou peintes de figures ou de motifs participant d’un programme iconographique subtil qui illustrait, le plus souvent sous une forme allusive, des épisodes mythologiques.

Figure yipwon, Papouasie Nouvelle-Guinée, début-milieu du XXe siècle. Bois. H. : 151 cm. © National Gallery of Australia, Canberra. Achat 2011.

Figure polymorphe, village de Bun, Papouasie Nouvelle-Guinée.
Bois et patine noire. H. : 61 cm. Collectée par Dadi Wirz en 1955. Acquise en 1956 par Alfred Bühler. © Bâle, Museum der Kulturen, Bâle, Inv. Vb 17689. Photo H. Dubois.
Les initiations des jeunes garçons, étape cruciale et fondatrice dans les sociétés du Sepik, se déroulaient dans ces maisons des hommes. Selon Philippe Peltier : « Pour eux [les Iatmul], le fœtus est là avant même que le bébé ne soit conçu. Le père, à travers son sperme, le nourrit et permet à ses os – qui sont ce qui reste d’un individu après sa mort – de se constituer. La femme, par le sang maternel, le nourrit également, elle lui apporte la chair. Lorsque l’enfant naît, son père ne le touche pas, ne le nomme pas pendant plusieurs années. L’initiation est le moment où l’homme reprend ses droits sur l’enfant mâle. » Période importante, puisqu’elle permettait aux jeunes initiés de découvrir un certain nombre d’objets sacrés qui étaient conservés dans ces maisons et dont les secrets de fabrication leur seront révélés ultérieurement. Ceux-ci passaient parfois de génération en génération même si, le plus souvent et, selon l’usage, on en fabriquait de nouveaux pour chaque cérémonie particulière : costumes et masques, masques plats en bois ou tressés fixés aux costumes ou aux parois de la maison, tambours et flûtes, sculptures d’ancêtres et d’esprits, crochets à suspension, sièges d’orateur et représentations des esprits présidant aux initiations. Ces initiations étaient des rituels longs et complexes destinés, en particulier, à transformer les adolescents en guerriers et chasseurs de têtes aguerris. Pendant la période de réclusion, qui pouvait durer plusieurs mois, les jeunes gens subissaient, sous la direction des aînés et des chefs de clans, un certain nombre d’épreuves.

Corps de crocodile, Village de Duor, Adjirab, Papouasie Nouvelle-Guinée. Rotin, fibres tressées, cheveux, coquillages marins et terrestres, dents, graines, fragments de poterie, os… Dim. 64 x 114 x 57,5 cm. Acquis par Jean Guiart à la station missionnaire de Marienberg en 1967. © Musée du quai Branly, Inv. 72.1966.12.14. Photo C. Germain.
La plus déterminante était la scarification du corps avec des motifs évoquant les écailles de l’ancêtre crocodile, ces cicatrices ornementales devenant le signe de leur contact avec les temps originels. Petit à petit, ils réapprenaient les gestes de la vie, mémorisaient les grands cycles mythiques, les histoires de leur clan et, surtout, ils découvraient les secrets connus des seuls hommes, comme jouer des instruments de musique, en particulier, les flûtes et les tambours à eau, la musique jouant un rôle fondamental. Lors des cérémonies, ces instruments étaient la voix des ancêtres.

Tambour, poignée ornée d’un crocodile, village de Kararau, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. H. : 50 cm. Bois, rotin, peau d’iguane et pigments. Collecté en 1955, mission Françoise Girard. © Musée du quai Branly, Inv. 71.1955.78.3. Photo C. Germain.
Contrairement à de nombreux autres, tels que la flûte ou le rhombe, le tambour sablier, recouvert d’une membrane en peau de lézard, ne présentait pas de caractère sacré, bien qu’il accompagnait de nombreuses festivités. Instrument très répandu, il était utilisé par les hommes pour rythmer les danses. Sa poignée est souvent ornée de figures zoomorphes. Les flûtes étaient conservées dans le secret de la maison des hommes et n’étaient jamais montrées aux femmes. Elles étaient toujours jouées par paire, formant un duo inséparable de frères ou de sœurs.

Masque awan, village de Kararau, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Rotin, fibres, vannerie, coquillages et pigments. H. : 180 cm. Collecté par Alfred Bühler en 1956. © Museum der Kulturen, Bâle, Inv. Vb 14714. Photo C. Germain.
À la fin d’un cycle d’initiation, plusieurs personnages masqués (Awan en langue Iatmul) et scarifiés, sortaient de l’enclos réservé aux initiés. Il s’agissait du moment le plus fort du rituel : la manifestation réelle de l’ancêtre. Symboliquement, l’ancêtre-crocodile dévoraient les jeunes initiés et les recrachaient une fois l’initiation accomplie, les scarifications ornant leurs corps étant la trace laissée par les dents du crocodile lors de leur ingestion. Cette pratique permettait aux adolescents initiés de trouver leur place au sein de la communauté et d’incarner symboliquement la force de l’animal totémique. Les jeunes garçons devenaient alors pleinement homme. Ils participeraient désormais à la vie de la communauté, étaient en droit de se marier et devenaient horticulteur, guerrier ou chasseur. Dans les sociétés du Sepik, c’était ainsi l’homme qui donnait naissance socialement à l’homme. Lors de leur présentation en public, au moment de la clôture de l’initiation, ils étaient ornés de nombreuses parures et divers attributs — poignards en os de casoar et gourdes à chaux décorées — leur étaient transmis, indiquant leur nouveau statut. Signes de prestige, ces précieux contenants à chaux s’héritaient de génération en génération. Seuls les individus de grande valeur portaient des parures hors du commun, leur conférant une forte dimension sociale et spirituelle. Ainsi les caches sexes en peau de roussette étaient réservés aux chasseurs de tête et les pendentifs accrochés à la spatule à chaux attestaient du nombre de têtes chassées.

Tambour à fente, île de Kairiru, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres et pigment. L. : 113 cm. Donation prince Roland Bonaparte, ancien du musée du Trocadéro, 1888. © Musée du quai Branly, Inv. 71.1888.5.229. Photo P. Gries et B. Descoings.

Tambour à fente (détail d’une des extrémités), île de Kairiru, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres et pigment. L. : 113 cm. Donation prince Roland Bonaparte, ancien du musée du Trocadéro, 1888. © Musée du quai Branly, Inv. 71.1888.5.229. Photo P. Gries et B. Descoings.
Les Iatmul sont probablement, de toute cette zone, l’un des groupes qui a inventé les cycles rituels les plus aboutis et les plus divers. L’un des aspects essentiels de cette société était la croyance selon laquelle l’animal était à l’origine du monde et le maître de l’organisation sociale. Suivant leur mythologie, le monde serait né d’un crocodile. Ce dernier, en remuant sa queue permit aux parcelles de terre de se figer, donnant ainsi naissance à une petite île sur laquelle il se reposa. Sa mâchoire se fendit alors en deux. La partie supérieure s’envola et devint le ciel et le soleil. La partie inférieure devint la terre. Sur les rives du fleuve, les premiers hommes purent alors installer leurs villages. Mais l’histoire de ce grand crocodile ancêtre ne se termine pas là : au fil du temps, il se métamorphosa sous différentes formes, donnant naissance aux clans (groupes de parents issus d’un même ancêtre). Chaque clan pouvait ainsi considérer qu’il était le descendant du crocodile primordial, mais teinté d’avatars, suivant sa lignée.
L’un des principaux motifs — commun à toutes les cultures — est la figure humaine, évocation des ancêtres fondateurs masculins ou féminins à l’origine des communautés, de leurs implantations et de leur environnement naturel. Les sculptures étaient taillées dans le bois dans lequel Urungeman, un ancêtre lié aux jardins, se transforma. Pour un homme du Sepik, l’ancêtre, en constante métamorphose, ne peut jamais être clairement défini : il est partout.

Figure masculine, village de Yamök, Sawos, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres, cône, peau de chauve-souris et pigments. H. : 218 cm. Collectée le 15 juin 1959 par Alfred Bühler. © Museum der Kulturen, Bâle, Inv. Vb 17702. Photo C. Germain.
La figure ancestrale ne se donne pas à voir immédiatement et doit s’appréhender petit à petit, dans toutes ses strates. Ainsi, ces images condensent-elles plusieurs états ou réalités, évoquant un phénomène plus étonnant encore pour nous occidentaux : chaque homme, chaque femme, chaque enfant peut se transformer en ancêtre. Il lui suffira pour cela de se parer. Toutes ces décorations étaient semblables à celles portées par l’ancêtre fondateur qui était décrit comme un être dont le corps resplendissant était couvert de parures. Et il n’était pas rare d’entendre un homme, racontant un mythe ancestral, se substituer à l’ancêtre et dire « je », entreprenant ainsi sa traversée des images.
Dans les villages, les habitations étaient disposées de manière à refléter l’ordre social, avec une distinction entre le monde des femmes et celui des hommes, entre l’espace publique, où on permettait à tout le monde de se déplacer librement et l’espace réservé aux hommes initiés. Point d’orgue de ces villages, l’aire de danse des maisons des hommes où les danseurs masqués, cachés par leurs manteaux en fibres, incarnaient les ancêtres et interprétaient leurs actes fondateurs. Les femmes se regroupaient principalement dans les habitations où les objets étaient visibles alors que les hommes se rassemblaient généralement dans les grandes maisons des hommes et sur les aires cérémonielles où les objets étaient cachés et secrets et uniquement montrés lors des rites. Si les femmes n’avaient pas leur place dans ces maisons, expression de la puissance masculine, elles étaient au cœur des récits mythologiques, représentant parfois une mère primordiale à l’origine des clans. À l’exception de quelques groupes du bas Sepik, les rites d’initiation des jeunes femmes étaient peu présents, le moment le plus important dans la vie d’une femme étant celui où elle devenait nubile. À cette occasion, elle recevait des richesses, souvent sous la forme de coquillages marins transformés en colliers. Deux types de parures spécifiques marquaient leur position sociale : les jupes, objets de séduction, et les coiffes de mariée en coquillages. Ce sont les femmes qui éduquaient et protégeaient les enfants, elles qui nourrissaient la communauté. Elles étaient aussi en charge de la pêche, utilisant des nasses qui étaient considérées comme le lieu par excellence de la fécondation et de la multiplication. Chaque membre d’une famille, mêmes les plus jeunes enfants, possédait sa pirogue. Les femmes pagayaient assises, les hommes debout. Leur fabrication nécessitait un long travail et leur mise à l’eau s’accompagnait d’une cérémonie. L’avant était sculpté d’une figure animale qui se réduisait, sur les pirogues de petites tailles, à une simple tête de crocodile. Les grandes pirogues de guerres possédaient, le plus souvent, des flancs sculptés.

Figure féminine, Ramu ou cours inférieur du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée. Cette statuette porte le masque qui cache le visage des femmes dansant pour la cérémonie de la ménopause. Bois, plumes de paradisier, poils, fibres et coquillages. H. : 50 cm. © Musée du quai Branly, Inv. 71.1939.127.90. Photo T. Ollivier et M. Urtado.
Les maisons familiales ou maisons des femmes étaient le lieu des activités quotidiennes. Tous pouvaient y pénétrer : hommes, femmes, enfants, amis ou invités. À l’intérieur, les femmes préparaient les repas, conservaient la nourriture dans des coupes et des jarres, confectionnaient les objets de la vie courante et une grande partie des biens échangés : les vanneries, les sacs en fibres, les nasses et, dans certains villages, les poteries.

Jarre à sago, village de Tambanum, Iatmul, Papouasie Nouvelle-Guinée. Terre cuite et pigments. H. : 82 cm. Collectée par Georg Heine, acquise le 10 juin 1910. © Ethnologisches Museum, Staatliche Museen zu Berlin, Inv. VI 30166. Photo Martin Franken.
Ces objets présentaient souvent de riches motifs qui en faisaient des biens admirés à l’égal de ceux fabriqués par les hommes. Grâce à ces productions, les femmes contrôlaient le flux des richesses. Ce double rôle, économique et nourricier, leur conférait une certaine influence, bien que leur place dans les grandes cérémonies soit relativement limitée. Dans le village, chaque quartier était le terrain d’un « clan ». Chaque clan était placé sous l’autorité d’un aîné, le « bigman », homme de savoir, capable de réciter les mythes d’origine de son clan. Dans sa maison, étaient conservés les objets appartenant à son groupe familial : des gourdes à chaux, des parures corporelles ou encore des armes comme des lances et des boucliers, chacun de ces objets portant en lui une histoire. Les pièces les plus spectaculaires étaient de grands crochets qui présentaient une figure humaine ou animale ainsi que des sculptures horizontales, emblèmes du clan, qui étaient exposées à la mort d’un chef.

Trois figures, village de Kundiman, Yuat, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois, fibres et pigments. H. : 40 cm. Collectées par Dadi Wirz en 1955 ; acquises en 1956 par Alfred Bühler. © Museum der Kulturen, Bâle, Inv. Vb 17701 a, b, c. Photo C. Germain.
Communs aux maisons individuelles et aux maisons des hommes, ces crochets étaient omniprésents. Les plus simples étaient utilisés dans les maisons familiales pour suspendre les sacs et paniers à nourriture tout autant que des biens précieux et ainsi les protéger des rongeurs à l’aide d’un disque en bois qui les surmontait. Ils pouvaient être plus ou moins élaborés et présentaient des variations formelles et iconographiques très nombreuses. Les plus grands et les plus ornementés, embellis de figures humaines ou animales, représentations d’ancêtres, étaient en général conservés dans les maisons des chefs de clan. On leur faisait des offrandes quand, par exemple, on partait à la chasse ou à la pêche et que l’on voulait que l’ancêtre vous accompagne et s’assurer un résultat heureux. Les sculptures les plus estimées et les plus précieuses, qui permettaient à chacun, en regardant les éléments sculptés les composant, de lire l’origine mythique de son clan étaient également gardées dans les maisons des chefs de clan. Elles étaient montrées en public lors des funérailles de personnes importantes ou lorsqu’était construite une nouvelle maison pour un chef.

Exposition Myth + Magic : quatre planches malu, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigment. H. : 181, 187, 138 et 154,4 cm. © Respectivement : National Gallery of Australia, Canberra, acquise d’Anthony Forge, 1977 ; Museum Victoria, Inv. X42471 et X42470, acquises de George William Lambeth Townsend, 1935 ; Queensland University Museum of Anthropology, Inv. 23100.
Un autre exemple concerne les planches ajourées malu qui étaient utilisées au cours des cérémonies funéraires durant lesquelles on évoquait la vie du défunt et on récitait les mythes de son groupe d’appartenance. Elles pouvaient aussi, dans des rites d’initiation, être montrées aux femmes pour signifier symboliquement le passage d’un jeune garçon à l’âge adulte. Le visage que l’on distingue en haut de ces planches ferait référence à un ancêtre mythique ayant enseigné aux hommes la culture du palmier-sagoutier, arbre qui produit le sagou, aliment de base des Papous. Conservés dans les habitations, ces objets étaient transmis de génération en génération ou servaient d’objets d’échange.

Masque, attribué à la région du bas Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée. Noix de coco, fibres, cheveux, cônes, cauris, nassa, coquille d’huître perlière et pigments. H. : 43 cm. Probablement collecté par Adolf Roesicke lors de l’expédition de Berlin, 1912-1913. © Berlin, Ethnologisches Museum, Inv. VI 40338. Photo Martin Franken.
Malheureusement, les sources dont nous disposons pour comprendre ces traditions artistiques sont souvent fragmentaires, et la destination de bien des objets reste mystérieuse. Laissons donc errer notre regard et, comme l’a énoncé Philippe Peltier (Ombres de Nouvelle-Guinée, Somogy, Paris, 2006) : « Il [le spectateur] ne devra pourtant jamais oublier que ces objets servaient un pouvoir qui était autant celui des hommes que celui des ancêtres. Ancêtres qui étaient des ombres redoutées, tout à la fois puissances à l’origine du monde et détenteurs des forces germinatrices indispensables à la survie de toutes les sociétés ».

Masque « tête d’oiseau » mwai, Iatmul, province de l’est du Sepik, Papouasie Nouvelle-Guinée. Bois et pigments. H. : 35,5 cm. Acquis en 1939, prov. inconue. © Musée du quai Branly, Inv. 71.1939.127.20. Photo C. Germain.
• Publications :
- Tanz der Ahnen. Kunst vom Sepik in Papua Neuguinea, œuvre collégiale sous la direction de Philippe Peltier, Markus Schindlbeck et Christian Kaufmann. 352 pp., 287 ill. coul., 25 x 30 cm. Hirmer Verlag, Munich, 2015. Relié : 49,90 €. ISBN : 978-3-7774-2339-5. (Version en français publiée par le Musée du quai Branly et Skira, Paris).
- Myth + Magic: Art of the Sepik River, Papua New Guinea, par Crispin Howarth. 232 pp. 29 x 20,5 cm, 97 ill. could. et 28 N/B (dont 78 pl.). Broché : 39,95 AUD$. ISBN 9780642334558.