À l’occasion de la publication du superbe ouvrage de référence “Art de l’Archipel Bismarck”, publié sous la direction de Kevin Conru — richement illustré des magnifiques photos de Hugues Dubois —, le Wereldmuseum de Rotterdam nous invite, sous le titre “Art from the Ring of Fire”, à un « grand tour » de cet archipel.
Ces îles ont pour dénominateur commun de se trouver sur ce que l’on appelle le cercle (ou la ceinture) de feu du Pacifique et d’être dominées par une série de volcans. À la fois source de vie et source de mort, la magie et l’énergie de cette nature violente se retrouve dans le formidable dynamisme des objets provenant de cette région, comme par exemple les grands masques baining kavat et vwunvwung qui apparaissent au cours de danses nocturnes, à la lueur d’un grand feu.

Masque de danse vwunvwun, Baining, presqu’île de la Gazelle, Nouvelle-Bretagne, Mélanésie . Étoffe d’écorce peinte sur support et tige de bambou, plumes de cacatoès et duvet de poule. Env. 200 x 350 cm. © Fondation Beyeler, Riehen. Photo : R. Bayer.
Avec près d’une centaine de sculptures, masques et ornements provenant des trois collections belge, néerlandaise et américaine, publiées dans l’ouvrage, complétés d’un groupe de masques baining conservés par le musée, l’exposition, présentée géographiquement, s’organise en cinq sections principales : les îles de l’Amirauté et une série d’objets en obsidienne, un ensemble d’ornements régionaux provenant des îles occidentales, la section suivante est consacrée à la Nouvelle-Bretagne et a une large sélection d’armes et de boucliers, suivie de la salle des masques baining tandis que la dernière partie est dédiée à la Nouvelle-Irlande.
Possession allemande, de 1884 à 1914, l’archipel Bismarck appartient, depuis 1975, à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, date de l’indépendance de cet État. Il est constitué de trois grandes îles principales : la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande et l’Amirauté, et de quelques îles ou groupes d’îles secondaires : îles du Duc-d’York, île de la Nouvelle-Hanovre (Lavongai), le groupe Saint Matthias (Mussau) et les îles Vitu, unies par un même fonds de culture, bien que leurs composantes ethniques ou sociales, ne soient pas identiques. D’après les données les plus récentes, les premiers occupants auraient migré d’Asie il y a environ 33 000 ans.

Masque de danse, Tolai, Nouvelle-Bretagne. Bois, fibres, chaux et pigments. H. : 44 cm.
Collecté par Richard Parkinson. Ex-coll. du Linden Museum, Stuttgart, étiquette manuscrite « Gaz. H. J. Parkinson » ; Dr Paul Asenbaum, Vienne.
La plus grande des îles de l’archipel, la Nouvelle-Bretagne — dénommée, durant l’occupation allemande, Nouvelle-Poméranie —, est formée de plusieurs massifs montagneux volcaniques (six volcans sont actifs). L’île fut découverte par des Européens en 1700 et l’explorateur anglais William Dampier lui donna le nom latin de Nova Britannia. Rabaul, située dans une baie abritée, à l’extrémité de la presqu’île de Gazelle, a longtemps été la principale agglomération.

T. Murray, « Capitaine William Dampier », 1651-1715. Huile sur toile, vers 1697-1698, 749 x 629 mm. NPG 538. © National Portrait Gallery, Londres.
Cette île nous offre quelques-unes des singularités les plus surprenantes de l’Océanie, pourtant si foisonnante. Elle est la patrie des cinq fameux modes d’expression artistique représentés chez les Mengen, les Sulka, les Baining, les Kilenge et les Tolai (Gunantuna), à l’origine de productions atypiques dans cette région. Autre particularité, la quantité de sociétés secrètes qui cohabitent dans le nord, véritables institutions destinées à la sauvegarde de la tradition.
Les Tolai — fameux pour leurs masques formés de la face d’un crâne humain surmodelée —, établis sur les rivages septentrionaux de la péninsule et dans les îles du Duc-d’York, appartiennent à deux sociétés secrètes : iniet et dukduk.

Bâton de danse, Tolai, Nouvelle-Bretagne. Bois, fibres, plumes et pigments. H. : 54 cm.
Ex-coll. de la Mission du Sacré-Cœur, Hiltrup, Allemagne.
La première est connue pour ses figurines d’initiation en calcaire et ses accessoires de danse en bois, généralement ajourés, et la seconde pour ses remarquables masques-coiffes de danse coniques en étoffe d’écorce battue colorée, feuillages et plumes.
Baining est le nom donné à une population habitant la péninsule de la Gazelle, située au nord-est de l’île. La plus singulière et la mieux décrite des manifestations de leur culture est la danse rituelle du serpent, exécutée chaque année, de nuit, dans la forêt. Trois types de masques, fabriqués en secret, évoluaient autour d’un feu allumé dans une clairière. Le plus spectaculaire, le vwunvwun, qui représente des esprits, est formé d’une armature de rotin pouvant atteindre plusieurs mètres, recouverte de tapa orné de motifs d’une grande richesse décorative. La couleur rouge de ces dessins était obtenue avec un mélange de sang et de salive. Les danseurs, le corps peint en noir et en blanc, tenaient, dans chaque main, des serpents qui s’enroulaient autour de leurs bras. Ces grands masques étaient détruits après chaque cérémonie. La signification de ces danses et de ces masques est encore très mal connue. Ils jouaient probablement un rôle important pour fédérer les groupes baining semi-nomades éparpillés sur le territoire. Chez les Sulka, il s’agit de sortes de cagoules, composées d’éléments composites en bois, construites en sparterie d’osier et en moelle de sureau, couronnées par de larges et spectaculaires parasols peints.

Masque de danse sisiu, Sulka, Nouvelle-Bretagne, vers 1900. Moelle végétale, fibres, rotin, pigments et plumes. H. : 90 cm. © Ethnologisches Museum, Berlin, Inv. No. VI 30.850. Photo A. Dreyer.
En Océanie, la guerre prenait souvent l’allure d’un simulacre symbolique interrompu dès la mort du premier guerrier ou même à la première blessure sévère. Peuples querelleurs et vindicatifs, les guerres et les querelles faisaient partie de l’ordre des choses en Nouvelle-Bretagne. On observe ainsi nombre d’armes offensives et, en particulier, chez les Mengen, les Nakanai et les Sulka, des boucliers allongés, de forme rectangulaire, légèrement arrondi aux extrémités, présentant une protubérance au centre, recouverte d’une décoration cruciforme en rotin, le pourtour renforcé de rotin et ornés de motifs évoquant deux visages opposés stylisés ayant pour fonction d’effrayer l’ennemi, de détourner les coups de lance et de massue et de protéger ainsi le guerrier.

Masque de danse, Sulka, Nouvelle-Bretagne. Collecté par A.B. Lewis, durant l’expédition Joseph N. Field, 1909-1913. © The Field Museum, Chicago, A111293c. Photo J. Weinstein et D. Alexander White.
Situé au nord de la Mélanésie, l’archipel de l’Amirauté — découvert par Alvaro Saavedra en 1528 et cartographié par Philip Carteret en 1767 —, est constitué de nombreuses îles dont la principale est Manus. Trois groupes peuples ces îles : les Ussiai, agriculteurs vivant à l’intérieur de la grande île, les Manus, pêcheurs et commerçant occupant les côtes de Manus, tandis que les Matankor, considérés comme des pêcheurs et des artistes, habitent dans les îles, à la périphérie de Manus. Cet archipel a su dégager un art et un artisanat propres. Contrairement à ses voisins, aucun masque n’existe dans les îles de l’Amirauté. L’activité artistique est cependant très variée et d’une grande finesse d’exécution.

Détail d’une anse d’une coupe cérémonielle, îles de l’Amirauté. Bois et pâte de noix de parinarium. L. : 114 cm.
Coll. privée, Australie.
Spatules à chaux pour la consommation du bétel, coupes et bols à nourriture, charmes de guerre formés d’une tête et d’un torse surmontant un assemblage de plumes de frégates découpées, portés par les guerriers à la nuque et destinés à les rendre valeureux et invulnérables, proues de pirogues, peignes ou encore grandes statues monoxyles d’ancêtres ornant les poteaux de certaines maisons des hommes. Tous ces objets sont ornés de motifs caractéristiques : spirales, triangles, zigzags et croix de Malte. Les thèmes les plus fréquents sont le corps humain, le visage allongé présentant une mâchoire prognathe ainsi que des animaux comme le lézard ou le crocodile et des oiseaux. Certains motifs peuvent être combinés, ainsi, l’homme a demi avalé par un crocodile, sans que l’on sache exactement si cette représentation particulière fasse référence à un mythe. Des pigments rouges et blancs viennent rehausser ces motifs sculptés dans le bois ou dans de la pate de noix de parinarium appliquée ou modelée. Si les sculptures en bois sont réalisées par les hommes, la vannerie est une activité féminine, en particulier la fabrication des tabliers en perlage que les mariées portaient par paire.

Deux charmes de guerre, îles de l’Amirauté. Bois, plumes de frégate, fibres et pâte de noix de parinarium. H. : 48 et 49 cm.
Ex-coll. Carel Groenevelt, Rotterdam ; Lode Van Rijn, galerie Khepri, Amsterdam ; Ernst Heinrich, Bad Cannstatt, Allemagne.
La découverte dans plusieurs sites lapita anciens d’éclats d’obsidienne dont on a pu identifier l’origine comme provenant de l’archipel Bismarck, témoignent d’un vaste système commercial basé sur l’échange entre ces communautés océaniennes. Des gisements d’obsidienne sont connus en Nouvelle-Bretagne et tout particulièrement dans les îles de l’Amirauté où cette roche volcanique vitreuse de couleur noire était largement utilisée et exploitée par les habitants de l’île Lou. Sorte de verre naturel, l’obsidienne permet d’obtenir des lames fines aux arrêtes tranchantes. Insérées dans une gaine en bois sculptée et fixées par une très fine ligature peinte ou par de la pâte de noix de parinarium, ces lames formaient ainsi poignards et javelots qui étaient utilisés au cours des combats et, en ce qui concerne les modèles de javelots les plus élaborés, au cours de cérémonies entourant les traités de paix où encore pour marquer la fin de certaines fêtes rituelles.
Contrairement aux autres îles de l’archipel, l’art des îles Saint-Matthias, est de forme épurée. On y trouve d’extraordinaires et uniques ornements de cheveux, portés par les hommes, lors d’occasions festives. Ces imposants peignes décoratifs sont constitués de rangées de bâtonnets en bois, reliés par des fibres et formant un aplat coloré en blanc, en partie ajouré, orné de motifs abstraits peints en rouge et en noir. Certains exemplaires sont prolongés d’appendices arqués. Les lances des îles Saint-Matthias présentent une grande diversité de décorations. Comme partout ailleurs, les matériaux rares servaient de biens de valeur, comme par exemple des cordons de monnaie en carapaces de scarabée ou encore des colliers de dents.

Parure de tête, Tolai, Nouvelle-Bretagne. Coquillages nautilus découpés, dents de couscous et fibres. Ø : 39 cm.
Ex-coll. du Dr Herbert Tischner, Hambourg ; Thérèse et Frits Lemaire, Amsterdam.
À proximité des îles de l’Amirauté et de la côte nord de la Papouasie Nouvelle-Guinée, on découvre les îles désignées dans les textes sous l’appellation de Para-Micronésie. Considérées comme culturellement micronésiennes, elles ont donné naissance aux groupes Ninigo, Luf (Hermit) et Kaniet (Anchorite), Aua et Wuvulu (Matty). Si leur appartenance culturelle est mal définie, on y observe une combinaison de traits reliant traditions micronésiennes et mélanésiennes, en particulier des influences provenant des îles de l’Amirauté. Le bétel y jouait un rôle important. Les spatules à chaux, sculptées à jour de motifs en forme de cœur à doubles spirales, sont de véritables œuvres d’art.
La présence d’entailles, sur les bords, et de décorations triangulaires, est commune à la plupart des objets sculptés. Un autre élément tout à fait original est le peigne kalakala, bijoux d’apparat porté au-dessus du front et planté dans la chevelure. On en rencontre de deux sortes : ceux, figuratifs, ordinairement ornés de deux têtes d’hommes barbu, sculptées de profils et disposées de manière symétrique, réservés aux hommes, et ceux dont les poignées représentent des motifs « abstraits », destinés aux femmes. Un autre objet particulier à ces îles est la coupe finola, en forme de pirogue, les extrémités ajourées, d’un bout à l’autre tendue de cordelettes en fibre de coco reliées entre elles en guise d’anses. Les plus grandes étaient utilisées au cours des rites de naissance.

Figure de divinité, îles Hermit. Bois, cordage en fibres de coco, pétioles de feuilles, fibres et pigments. H. : 116 cm.
Collectée entre 1887 et 1897 par le capitaine français Jean-Marie Dano.
Découverte en 1616, la Nouvelle-Irlande, étroite et très montagneuse, s’étire au nord de la Nouvelle-Bretagne. Dans la moitié nord de l’île, différents groupes exécutaient autrefois des cérémonies de clôture des rites funéraires qui mettaient en scène des sculptures en bois polychrome d’une rare puissance expressive. Ces objets surprennent par la liberté apportée à l’assemblage de motifs subtilement intriqués se combinant à l’infini, suivant des règles strictes, dictées par l’organisation des rituels au cours desquels ils étaient utilisés. A ces cérémonies funéraires se mêlaient des rites liés aux grandes étapes de la vie d’un individu (naissance et initiation), mais également des rites de fertilité.

Masque de danse, sud de la Nouvelle-Irlande. Bois, opercules de Turbo Petholatus, pâte adhésive, graines d’Abrus precatorius et pigments. H. : 37 cm.
Collection privée, Newcastle, Angleterre ; Chris et Anna Thorpe, Sydney.

Masque de danse tatuana avec parure bucale. Bois, fibres, opercules de Turbo petholatus, tissu européen, perles de verre et pigments. H. : 56 cm.
Collecté par le Dr Lautenbach dans le village de Ungalubu, Nouvelle-Hannovre. Ex-coll. Lemaire, Amsterdam ; Museum voor Land en Volkenkunde, Rotterdam.
Présentant une ambiguïté fondamentale dans la culture de Nouvelle-Irlande, ces objets étaient assimilés en même temps à des corps vivants et à des corps morts et les cérémonies au cours desquelles ils apparaissaient avaient pour effet de « remplacer » les morts au sein de la tribu par de nouveaux membres, permettant ainsi à un habitant d’honorer ses parents par alliance et d’entretenir leur souvenir.
Ces objets, que la classification indigène divisait en de nombreux types et sous-types nommés, étaient conçus comme les effigies d’entités variées, ce qui explique la présence, sur une même sculpture, de plusieurs d’entre elles.
Associés à un clan ou à un lignage, leur utilisation était régie par des droits complexes au sein d’une tradition qui évoluait avec le temps. Ils étaient placés dans des enclos spécialement aménagés pour être, à l’issue des cérémonies, détruits ou abandonnés — signifiant ainsi la cassure provoquée par la mort et la rupture des attaches du défunt avec les vivants. Certains participants recevaient alors le droit et le savoir nécessaires pour diriger ultérieurement leur fabrication et leur mise en scène. Le renouvellement de ces sculptures, dont les motifs appartenaient à des particuliers ou à des clans, donnait lieu, en effet, à des droits individuels de reproduction et se transmettait ainsi de génération en génération.

Masque de danse, île Lihir, nord de la Nouvelle-Irlande.
Bois, fibres, matériaux spongieux marins, raphia, courge, plumes, chaux et pigments.
H. : 140 cm.
Coll. Alain de Monbrison, Paris.
Ces créations — masques, statues, éléments architecturaux, mâts, frises et panneaux horizontaux ou verticaux, ornements de bouche —, finement ajourées, peintes et élaborées avec un soin particulier, sont souvent composées d’une partie principale anthropomorphe ou zoomorphe, sur laquelle sont greffés des éléments décorés de forme variée, ce qui peut parfois donner l’impression que la figure principale est encadrée, voire enfermée par les éléments secondaires. Il en existe d’innombrables variantes si bien qu’il serait difficile de trouver deux pièces similaires. Sans oublier une autre singularité de l’art de Nouvelle-Irlande, l’insertion, dans les orbites, d’un opercule hémisphérique provenant d’une espèce de gastéropode (Turbo petholatus), apte à créer l’illusion d’un œil véritable.
Par leur invention artistique, la finesse du travail du bois et leur expressivité, elles ont très tôt fasciné les Européens, en particulier les surréalistes et des artistes tels que Alberto Giacometti, Henri Moore ou Roberto Matta.
Si l’on sait que ces sculptures ont en commun de représenter un aspect de l’énergie vitale d’un individu, on suppose que cette énergie est propre à un clan, indissociable de ses autres manifestations, par exemple des poissons ou des serpents. En ce sens, chaque être humain est unique et, plus que le portrait d’un défunt, une effigie malagan serait la matérialisation de l’énergie vitale qui l’a engendré.
Un personnage ou une superposition de personnages et d’animaux sculptés en ronde-bosse, entourés d’appendices et d’attributs divers, de figurines humaines et animales secondaires, s’imbriquant ou se décomposant en de multiples formes exploitant les vides transformés en ajours, les surfaces peintes de motifs décoratifs et de fins quadrillages, constituent l’essentiel de l’imagerie de Nouvelle-Irlande.
Ainsi, les mâts totems pouvaient être composé de cinq ou six effigies anthropomorphes superposées, le sommet du poteau s’ornant souvent d’un oiseau ou d’une tête humaine représentant le caractère individuel du clan auquel la sculpture appartenait et sa base, en général, s’ornant d’une tête de cochon. Les extrémités des malagan horizontaux étaient eux généralement munies de têtes de cochon, de têtes ou de corps de poisson, l’une des extrémités pouvant représenter un poisson et l’autre une tête de cochon. Certains motifs rencontrés ont certainement une signification religieuse complexe, comme par exemple le combat de l’oiseau et du serpent.

Masque de danse composite, Nouvelle-Irlande. Bois, fibres, opercule de Turbo petholatus et pigments. H. : 76 cm.
Ex-coll. Museum Umlauff, 1882, Hambourg ; Julius Konietzko, Hambourg.
Considérer ces assemblages avec l’œil de l’occidental, est loin d’être la solution idéale, la perfection de l’ornementation devant être plutôt interprétée comme l’émanation d’une force magique. Ces représentations animales ne sont pas présentes seulement en tant qu’attributs aux figurations humaines mais aussi comme des sculptures indépendantes. Elles nous révèlent que c’est la nature tout entière autour de l’homme qui est en cause dans ces rites. Restés très proches de cette nature, les hommes de Nouvelle-Irlande ont, dès les origines, tissé avec le monde animal un réseau de relations privilégiées au travers desquelles s’épanouissent ces deux mondes que constituent le monde visible et le monde invisible, les énergies vagabondes de la forêt et de la mer étant concentrées dans la représentation des ancêtres. Fasciné par la mort et tributaire de la menace de l’inconnu, l’Océanien vivait dans la dépendance constante des ancêtres et dans la quête de la maîtrise du pouvoir surnaturel dont il était investi pour assurer la cohérence et la survivance de son groupe.
Autre représentation étonnante de Nouvelle-Irlande : les statues uli qui étaient utilisées au cours de rites destinés à honorer les morts. Les corps de ces sculptures sont caractérisés par de courtes et solides jambes, un torse trapu et une grande tête barbue. Si ces sculptures affichent les attributs d’une virilité affirmée, elles possèdent aussi une poitrine féminine.

Figure uli, Nouvelle-Irlande. Bois, opercules de Turbo petholatus, coquillages, fibres pâte adhésive et pigments. H. : 108 cm.
Collectée avant 1914 par un botaniste allemand. Coll. Herman Seeger, Stuttgart.
La tradition voulait qu’on ne détruise pas les statues uli après usage, mais qu’on les enveloppe et les range dans la maison des hommes, jusqu’à leur prochaine utilisation. Elles étaient alors nettoyées et repeintes avec différents pigments. Les cérémonies uli tenues en l’honneur d’un chef mort comprenaient au moins treize phases, réparties sur une période d’un à trois mois. Elles commençaient par l’inhumation du crâne avec diverses jeunes plantes qui s’en nourrissaient afin de former bientôt un magnifique bouquet de feuilles jaunes. Vers la fin des cérémonies, jusqu’à dix statues uli pouvaient être amenées sur les lieux, en secret, puis repeintes et disposées dans des huttes construites spécialement à l’intérieur d’un enclos sacré. D’autres huttes abritaient des structures en forme de bateau appelées lemaut (tombes), avec des statues fixées à un poteau placé à chaque extrémité. Bien que les femmes n’aient pas été autorisées à voir les statues, leur participation aux danses collectives constituait un point essentiel du rite. Les statues uli représenteraient des ancêtres dotés du pouvoir et de la force indispensables à un chef de clan, la poitrine féminine représentant la fécondité nécessaire aux générations futures.
L’art de l’archipel Bismarck
Sous la direction de Kevin Conru avec des textes de Ingrid Heermann, Klaus-Jochen Krüger, Bart Van Bussel.
Photographies de Hughes Dubois
Publié en français et en anglais. Relié sous jaquette, 27,5 x 35,5 cm, 272 pp., 274 ill. en couleurs.
ISBN 978-88-7439-644-3. € 125,00.
bonjour, très belle article !…mais connaissez-vous mon travail ???
cocofronsac.com/
merci pour votre blog , les photos, en plus sont de belles qualités
bien à vous
coco
Bonjour et merci ! Oui j’ai le plaisir de connaître et j’apprécie votre travail original après l’avoir découvert à la galerie Flak.
Sincèrement,
Philippe