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Atua. Sacred Gods from Polynesia/Atua, dieux sacrés de Polynésie

En mai 2006, le Sainsbury Centre for Visual Arts de Norwich nous conviait à une mémorable exposition : Pacific Encounters: Art and Divinity in Polynesia 1760-1860, présentée ensuite à Paris, au Musée du quai Branly, en 2008, dont le commissariat était assuré par Steven Hooper et Karen Jacobs. Cette invitation à explorer les îles du Pacifique, particulièrement de 1760 à 1860, période cruciale des premiers contacts avec les voyageurs européens, ravivait les lointains souvenirs de l’exposition La Découverte de la Polynésie, organisée par la Société des amis du musée de l’Homme, à Paris, en 1972. C’était au tour de la National Gallery of Australia, à Canberra, en Australie (23 mai-3 août 2014) — avant le Saint-Louis Art Museum, du 12 octobre 2014 au 4 janvier 2015 —, d’accueillir, sous le titre : Atua. Sacred Gods from Polynesia, ces images divines et imposantes dégageant, encore aujourd’hui, une aura à laquelle on ne peut résister.

Figure féminine moai papa (détail), Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est. Probablement début du XIXe siècle. Bois, os et obsidienne. H. :
64 cm. ©
Otago Museum, Dunedin, Nouvelle-Zélande, O 50.051.1.

Figure féminine moai papa (détail), Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est. Probablement début du XIXe siècle. Bois, os et obsidienne. H. :
64 cm. ©
Otago Museum, Dunedin, Nouvelle-Zélande, O 50.051.1.

Un ensemble exceptionnel de sculptures en bois et en pierre, d’ornements en ivoire, de parures en plumes et en étoffes végétales illustrent la richesse et la diversité des créations polynésiennes et le rôle important qu’elles jouaient dans la vie culturelle et religieuse de ces sociétés insulaires. Le commissaire, Michael Gunn évoque l’art de cette région sous un angle fascinant et inhabituel : celui des « atua ».

Toute la région incluse dans ce que l’on appelle le « triangle polynésien » formé par Hawaii, l’île de Pâques (Rapa Nui) et la Nouvelle-Zélande (Aotearoa) — incluant les Marquises, Mangareva (îles Gambier), les Tuamotu, les îles de la Société, les Australes (Polynésie Française), Cook et Fidji, Tonga, Samoa et les îles voisines de Polynésie Occidentale —, avait depuis longtemps été peuplée par des hommes descendant des populations dénommées par les archéologues « Lapita », avant l’arrivée de ces « immigrants ». Lapita est le nom donné à une tradition céramique historiquement liée à la première implantation des habitants austronésiens dans le Pacifique sud-ouest, au milieu du deuxième millénaire av. J.-C., et dont on retrouve certaines filiations entre les motifs de cette période et ceux des nombreuses traditions décoratives océaniennes.

Ainsi, les Polynésiens atteignirent Tonga et Samoa il y a trois mille ans, apportant avec eux leurs atua et leurs pratiques artistiques. Plus tard, il y a mille deux cents ans, ils découvrirent les îles Cook, de la Société, dont Tahiti et les Marquises, à partir desquelles ces valeureux navigateurs, au milieu du XIVe siècle, rallièrent Hawaii, la Nouvelle-Zélande et l’île de Pâques.

Figure d'ancêtre de fronton de maison de réunion, style Gisborne, Maori, Nouvelle-Zélande (objet non exposé). Bois. H. : 43,2 cm. © Musée du quai Branly, 72.1983.4.1. Photo : Claude Germain.

Figure d’ancêtre de fronton de maison de réunion, style Gisborne, Maori, Nouvelle-Zélande (objet non exposé). Bois. H. : 43,2 cm. © Musée du quai Branly, 72.1983.4.1. Photo : Claude Germain.

Figure
d’ancêtre attribuée à Raharuhi Rukupo,
Maori, région de Manutuke, près de Gisborne, côte Est de l’île du Nord, Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Polynésie du Sud, XIXe siècle. Bois. H. : 79,7 cm. ©
National Gallery of Australia, Canberra, 1981.1084.

Figure
d’ancêtre attribuée à Raharuhi Rukupo,
Maori, région de Manutuke, près de Gisborne, côte Est de l’île du Nord, Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Polynésie du Sud, XIXe siècle. Bois. H. : 79,7 cm. ©
National Gallery of Australia, Canberra, 1981.1084.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au XVIIIe siècle, les sociétés polynésiennes n’étaient ni figées ni statiques, évoluant depuis des millénaires, ignorant tout de l’Europe. Les Polynésiens, excellents navigateurs, disposaient d’un système de navigation complexe basé sur la position des étoiles, les configurations de vol des oiseaux de mer et la direction des courants, leur permettant ainsi d’entretenir des relations régulières d’une île à l’autre. Si les premiers explorateurs Hollandais, Espagnols et Britanniques apparaissent au XVIe siècle, il faudra attendre les années 1760 pour que débute une ère de voyages européens sans précédent mêlant scientifiques, artistes, marchands, baleiniers, évangélisateurs, planteurs et colons de toutes sortes et de tous pays. En un siècle, l’archipel changea du tout au tout bien que, paradoxalement, de vigoureuses identités culturelles survécurent et s’y développèrent.

Figure masculine ti’i, Tahiti, îles de la Société, Polynésie Centrale, XVIIIe siècle 
ou antérieur. Bois. Dim. : 58,4 x 19,1 x 15,2 cm.
© Bishop Museum, Honolulu, C.3132. Photo Dave Franzen.

Figure masculine ti’i, Tahiti, îles de la Société, Polynésie Centrale, XVIIIe siècle 
ou antérieur. Bois. Dim. : 58,4 x 19,1 x 15,2 cm.
© Bishop Museum, Honolulu, C.3132. Photo Dave Franzen.

On doit principalement la découverte de la Polynésie à deux grands explorateurs dont les récits eurent un immense succès en Europe, au XVIIIe siècle, et dont les observations permirent un progrès considérable dans la connaissance de l’océan Pacifique : le français Louis-Antoine, comte de Bougainville (1729-1811) et le britannique James Cook (1728-1779). Il ne faut pas oublier le rôle que joua Charles de Brosses (1709-1777), magistrat, historien, linguiste et écrivain, avec la publication de son Histoire des navigations aux terres australes (2 vol., Durand, Paris, 1756), se terminant par une exhortation au roi et au peuple français à prendre rapidement possession de cet immense continent. L’auteur offre l’exemple d’une connaissance acquise dans les livres, mise au service d’une vision du Pacifique, antérieure aux grandes expéditions de Bougainville et de Cook et encore dominée par l’hypothèse de l’existence d’un grand continent austral.

Portrait de Louis Antoine de Bougainville par Jean-Pierre Franque, 1810. Huile sur toile, 75 x 67 cm. © Musée national du Château de Versailles.

Portrait de Louis Antoine de Bougainville par Jean-Pierre Franque, 1810. Huile sur toile, 75 x 67 cm. © Musée national du Château de Versailles.

Accompagné de tout un aéropage scientifique, Bougainville réalise son projet de voyage de novembre 1776 à mars 1769. À bord de La Boudeuse et de L’Étoile, il découvre plusieurs des îles des Tuamotu, Samoa, les îles de la Société et, en particulier, Tahiti, en 1768, où l’anglais Wallis n’avait fait qu’un brève escale, l’année précédente.

Portrait de James Cook, par Nathaniel Dance-Holland, 1775-1776. Huile sur toile, 127 x 101,6 cm. © National Maritime Museum, Greenwich, Londres, Greenwich Hospital Collection.

Portrait de James Cook, par Nathaniel Dance-Holland, 1775-1776. Huile sur toile, 127 x 101,6 cm. © National Maritime Museum, Greenwich, Londres, Greenwich Hospital Collection.

En 1766, James Cook est chargé, par la Royal Society de Londres, d’aller observer, à Tahiti, une très rare éclipse provoquée par l’interposition de Vénus entre la terre et le soleil. À bord de l’Endeavour, il part, pour le premier de ses trois voyages, en 1768, lui aussi accompagné d’une équipe de savants, naturalistes, botanistes et astronomes. Sur le chemin du retour, il prend possession de l’archipel qu’il nomme « Société » (en l’honneur de la Société géographique de Londres). Il visitera l’île de Pâques, en mars 1774 et, lors de son troisième voyage, il découvrira l’archipel d’Hawaii, qu’il appellera « Sandwich » (en hommage au Premier Lord de l’Amirauté), en 1778, où il mourra, assassiné par les indigènes, dans la baie de Kealakekua, en 1779.

À cela il faut ajouter, dès les années 1790, une activité missionnaire intense, marquée, en particulier, par l’arrivée à Tahiti, en 1797, des premiers missionnaires de la London Missionary Society (LMS). En Mélanésie, et en Papouasie Nouvelle-Guinée, en particulier, les contacts s’établiront beaucoup plus tard — dans les années 1930 pour les Hautes-Terres.

Étoffe d’écorce au décor géométrique ocre et noir, verni, en liber battu, Samoa (?), Polynésie (objet non exposé). Dim. : 92,5 x 35 x 0,5 cm. © Musée du quai Branly, 71.1985.75.2. Photo Claude Germain.

Étoffe d’écorce au décor géométrique ocre et noir, verni, en liber battu, Samoa (?), Polynésie (objet non exposé). Dim. : 92,5 x 35 x 0,5 cm. © Musée du quai Branly, 71.1985.75.2. Photo Claude Germain.

Cette relation de type colonial avec les puissances européennes devait se révéler féconde quoique, parfois, douloureuse, aussi bien pour les uns que pour les autres ! Au cours de cette période, le christianisme remplaça la religion polynésienne jusqu’à la supprimer dans la plupart des îles, entraînant l’extinction de la sculpture religieuse. Dans les années 1770, le capitaine Cook avait estimé la population tahitienne à plus de cent mille individus. Après trente années de gouvernement de la LMS, il n’en restait plus que six mille. L’île de Tubuai, dans le groupe des Australes, passa de neuf cents à trois cents habitants entre 1821 et 1823. L’île de Ra’ivavae subit un déclin catastrophique, passant de trois mille indigènes à moins de cent, quinze ans plus tard. C’est en 1842 que les Français débarquèrent à Tahiti, au bon moment pour saisir le pouvoir politique et renvoyer ce qu’il restait des frères de la LMS.

Dans les îles où vivaient des groupes hostiles les uns envers les autres, la guerre était une occupation courante. Avant les combats, les atua étaient invoqués pour obtenir leur protection et vaincre l’ennemi. Dans certaines des plus grandes îles, des sacrifices humains pouvaient être pratiqués.

Tambour, Raivavae, îles Australes, Polynésie Centrale (objet non exposé). La peau est tendue à l’aide d’un réseau de laçage sur une caisse de résonance cylindrique se terminant en un socle ajouré. Bois, peau de poisson et fibre de coco tressée. H. : 124. Ø 22 cm. © Musée du quai Branly. Inv. : 72.84.367.1. Photo Patrick Gries.

Tambour, Raivavae, îles Australes, Polynésie Centrale (objet non exposé). La peau est tendue à l’aide d’un réseau de laçage sur une caisse de résonance cylindrique se terminant en un socle ajouré. Bois, peau de poisson et fibre de coco tressée. H. : 124. Ø 22 cm. © Musée du quai Branly. Inv. : 72.84.367.1. Photo Patrick Gries.

Le troc entre les groupes d’îles était fondamental dans le fonctionnement de ces sociétés. À l’occasion d’un décès ou d’un mariage, ils échangeaient des vêtements en fibres, des bols et des canoës. Cook, au XVIIIe siècle, et ceux qui le suivirent, au XIXe siècle, mirent en évidence cette pratique qui devint également essentielle dans les rapports avec les Européens. Ainsi, la plupart des pièces conservées aujourd’hui dans les musées n’ont pas été dérobées mais ont fait l’objet d’échanges, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Si certains objets, telles que les pierres sacrées, ne pouvaient être déplacées ou étaient précieusement conservées, comme les dents de baleine représentant des ancêtres déifiés aux Fidji, la plupart des sculptures, bols, ornements, tissus en écorce, canoës et armes pouvaient être échangés. Les chefs avaient à leur disposition des sculpteurs qu’ils entretenaient.

Bol à nourriture, Hawaii (objet non exposé). Fin du XVIIIe-début du XIXe siècle. De forme allongée, le bol est soutenu, symétriquement, par deux personnages formant poignées aux têtes renversées en arrière formant une coupe. Bois. Dim. : 21 x 100,5 x 22,4 cm. © Musée du quai Branly, 71.1880.75.2. Photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.

Bol à nourriture, Hawaii (objet non exposé). Fin du XVIIIe-début du XIXe siècle. De forme allongée, le bol est soutenu, symétriquement, par deux personnages formant poignées aux têtes renversées en arrière formant une coupe. Bois. Dim. : 21 x 100,5 x 22,4 cm. © Musée du quai Branly, 71.1880.75.2. Photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.

Présentées à leurs commanditaires, les commandes constituaient une sorte de « dialogue » entre le peuple et le chef à qui elles appartenaient. La meilleure conduite à tenir pour asseoir son statut était de les offrir à d’autres dirigeants et à d’autres communautés avec lesquels il désirait entretenir de bonnes relations. Une fois acceptés, ces cadeaux pouvaient à nouveau être proposés, par exemple, à des Européens, en échange de métal ou de vêtements. Les voyageurs ont également acquis des objets pour des raisons scientifiques ou comme témoignages de leurs séjours et de leurs rencontres. Si les missionnaires ont malheureusement détruits par le feu d’innombrables sculptures, ils ont heureusement collecté un certain nombre d’« idoles », comme preuves de leur succès évangélisateur, qu’ils présentaient dans leurs musées pour confronter le public à l’« idolâtrie » et ainsi encourager les donations pour soutenir leurs actions.

Figure appelée maee, Hawaii, Polynésie du Nord. Servant sans doute de siège ou de plateau sur lequel on disposait des bols et représentant soit un dieu soit un danseur de hula. D’une remarquable force plastique, cette figure pouvant tenir debout sur ses deux jambes. Créée avant mars 1779. Collectée à Hale o Keawe par Lord George Anson Byron, 1825. Bois, coquillages, cheveux et dents. H. : 66 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, OC.1657. Tous droits réservés.

Figure appelée maee, Hawaii, Polynésie du Nord. Servant sans doute de siège ou de plateau sur lequel on disposait des bols et représentant soit un dieu soit un danseur de hula. D’une remarquable force plastique, cette figure pouvant tenir debout sur ses deux jambes. Créée avant mars 1779. Collectée à Hale o Keawe par Lord George Anson Byron, 1825. Bois, coquillages, cheveux et dents. H. : 66 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, OC.1657. Tous droits réservés.

Grands navigateurs, la mer jouait un rôle essentiel dans la vie des Polynésiens, leur fournissant nourriture et matières premières : leurs filets, hameçons — les hameçons étaient également l’objet d’échanges de valeur — et harpons leur permettaient d’attraper une grande variété de poissons. Véritable domaine cosmologique, la mer était associée aux chefs, aux dieux et aux pouvoirs divins, souvent symbolisés par des matières marines : coquilles — la coquille d’huître perlière était très prisée et s’échangeait sur de très longues distances —, ivoire de baleine, dents de requins et carapaces de tortues. Si tangaroa était rattaché à la mer, tane était lié à la forêt et à la terre, second pourvoyeur de matériaux de prix — bois, pierre et fibres végétales — pour créer des objets cultuels.

Linteau paepae, détail.

Linteau paepae, détail.

Linteau paepae provenant d’un entrepôt de chef, Maori, Bay of Plenty, île du Nord, Nouvelle-Zélande, Polynésie du Sud. XIXe siècle. Essence de pin (Podocarpus totara) et pigment ocre. Dim. : 242,8 x 31,8 cm x 9 cm. Achat, 1981. © National Gallery of Australia, Canberra. Inv. No: NGA 81.1082.

Linteau paepae provenant d’un entrepôt de chef, Maori, Bay of Plenty, île du Nord, Nouvelle-Zélande, Polynésie du Sud. XIXe siècle. Essence de pin (Podocarpus totara) et pigment ocre. Dim. : 242,8 x 31,8 cm x 9 cm. Achat, 1981. © National Gallery of Australia, Canberra. Inv. No: NGA 81.1082.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La relation entre les hommes et les dieux était extrêmement importante et la religion, riche en activités rituelles, était indissociable de la vie politique, sociale et économique. La mana, forme de pouvoir tirant son origine du monde divin, se manifestait à travers les chefs et les prêtres et divers objets qui devenaient ainsi tapu, c’est-à-dire interdits à certaines personnes et dans des contextes particuliers. Cependant, une distinction était faite entre les atua lointains, créateurs du monde, les atua locaux, dieux secondaires plus ou moins familiers et domestiques et les ancêtres divinisés qui influençaient directement la vie de leurs descendants et avec qui il fallait entretenir de bonnes relations. Afin d’obtenir leur faveur, des liens avec les pouvoirs divins étaient établis par des offrandes et des bénédictions et à travers rituels, chants et danses. Ces offrandes pouvaient être faites sur des autels domestiques ou dans des temples consacrés appelés marae (malae ou me’ae). Ces marae désignaient des espaces réservés aux activités sociales : réunions, intronisations des chefs, repas cérémoniels… Dans certaines îles, on y établissait la maison du chef, celle des ancêtres ou des dieux. Cet espace, soigneusement entretenu, était (ou non) distinct de la place de danse et plus ou moins tabou. Des pierres consacrées aux ancêtres y étaient parfois dressées. Pendant les rituels religieux, les divinités étaient incarnées à travers des sculptures, des tambours, des pierres et divers objets et reliques ou par des personnages importants tels que les chefs et les prêtres. À ce titre, la figure du chef était primordiale. Les traditions orales relatent que la première chose qu’il faisait en abordant une île était d’établir un enclos sacré pour abriter les atua qu’il apportait. Séparé du monde des hommes par les diverses enveloppes dont il était revêtu, telles les magnifiques capes en plumes d’Hawaii, il prenait place sur une natte ou sur un siège particulier puis, suivant les îles, il était décoré de plastrons et d’ornements composites réalisés à partir de coquillages ou d’ivoire de cachalot et de matières végétales ou animales, l’ensemble ayant pour but d’affirmer sa puissance et sa vitalité.

Boîte à plumes, Maori, côte est de l’île nord (baie de Plenty), Nouvelle-Zélande (détail ; objet non exposé). Milieu du XIXe siècle.

Boîte à plumes, Maori, côte est de l’île nord (baie de Plenty), Nouvelle-Zélande (détail ; objet non exposé). Milieu du XIXe siècle.

Boîte à plumes, Maori, côte est de l’île nord (baie de Plenty), Nouvelle-Zélande (objet non exposé). Milieu du XIXe siècle. Chaque extrémité est ornée d’un visage expressif sculpté en ronde bosse. Les côtés et le couvercle sont couverts d’un motif d’entrelacs et de petites lignes transversales. Les pendentifs de jade et les plumes de l’oiseau « huia », dont les Maori se servaient pour orner leurs manteaux, étaient conservés dans ces boîtes. Ces coffrets pouvaient être suspendus aux chevrons de la case par les excroissances sculptées à leurs extrémités. La forme oblongue rappelle celle des pirogues et renvoie aux mythes d’arrivée des premiers clans maoris par pirogue. Bois. L. : 56. © Musée du quai Branly, 71.1885.52.96.1-2. Photo : Claude Germain.

Boîte à plumes, Maori, côte est de l’île nord (baie de Plenty), Nouvelle-Zélande (objet non exposé). Milieu du XIXe siècle. Chaque extrémité est ornée d’un visage expressif sculpté en ronde bosse. Les côtés et le couvercle sont couverts d’un motif d’entrelacs et de petites lignes transversales. Les pendentifs de jade et les plumes de l’oiseau « huia », dont les Maori se servaient pour orner leurs manteaux, étaient conservés dans ces boîtes. Ces coffrets pouvaient être suspendus aux chevrons de la case par les excroissances sculptées à leurs extrémités. La forme oblongue rappelle celle des pirogues et renvoie aux mythes d’arrivée des premiers clans maoris par pirogue. Bois. L. : 56. © Musée du quai Branly, 71.1885.52.96.1-2. Photo : Claude Germain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’art polynésien affiche une tendance des plus étonnantes avec la présence, dans une même île, d’œuvres témoignant d’un sens aigu du réalisme et d’autres, au contraire, révélant un goût évident pour l’abstraction. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cet art était aussi coloré et ornementé que l’art mélanésien. En effet, l’usage des plumes et de la couleur était également largement répandu en Polynésie.

Grands amateurs de tapas décorés de motifs géométriques — tout comme les Samoans —, c’est dans la céramique que les Fidjiens présentent une grande originalité avec des vases aux formes variées revêtus d’une glaçure. Aux Fidji, comme à Tonga, les surfaces planes des casse-tête sont finement ciselées et gravées, à l’instar des pagaies des Australes. De l’île de Mangareva, dans l’archipel des Gambier, seules neuf sculptures, dont six statuettes, ont survécu au bûcher des missionnaires.

Dieu tu (mainaragi), Mangareva, archipel des Gambiers, Polynésie Centrale. Représenté avec quatre jambes, il s’agit d’une présentation unique du principal dieu de Mangareva, le fils aîné de Tagaroa. Dans de nombreuses cultures polynésiennes, tu, était le dieu de la guerre. Cependant, il a joué un rôle plus paisible à Mangareva, en étant le dieu du uru (le fruit de l'arbre à pain), la nourriture la plus importante de l’alimentation des mangaréviens. Collecté en 1834 par les missionnaires de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. Bois. H. : 112 cm. © Musée ethnologique du Vatican, Cité du Vatican, 100189.

Dieu tu (mainaragi), Mangareva, archipel des Gambiers, Polynésie Centrale. Représenté avec quatre jambes, il s’agit d’une présentation unique du principal dieu de Mangareva, le fils aîné de Tagaroa. Dans de nombreuses cultures polynésiennes, tu, était le dieu de la guerre. Cependant, il a joué un rôle plus paisible à Mangareva, en étant le dieu du uru (le fruit de l’arbre à pain), la nourriture la plus importante de l’alimentation des mangaréviens. Collecté en 1834 par les missionnaires de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. Bois. H. : 112 cm. © Musée ethnologique du Vatican, Cité du Vatican, 100189.

Tiki, îles Marquises, Polynésie centrale. Fin du XVIIIe-début du XIXe siècle. Ce petit tiki masculin est percé d'un trou, à l'arrière de la tête, ce qui semble indiquer qu’il était destiné à être suspendu. Pierre volcanique. H. : 15,1 cm. Ex-coll. du Louvre, 1851, puis musée d’Ethnographie du Trocadéro, 1887. © Musée du quai Branly. Inv. 71.1887.50.1.

Tiki, îles Marquises, Polynésie centrale. Fin du XVIIIe-début du XIXe siècle. Ce petit tiki masculin est percé d’un trou, à l’arrière de la tête, ce qui semble indiquer qu’il était destiné à être suspendu. Pierre volcanique. H. : 15,1 cm. Ex-coll. du Louvre, 1851, puis musée d’Ethnographie du Trocadéro, 1887. © Musée du quai Branly. Inv. 71.1887.50.1.

Au sein des vallées marquisiennes vivaient différents groupes ou clans familiaux dont les réseaux d’alliances pouvaient s’étendre sur plusieurs îles. Comme dans la plupart des mythologies, abondaient demi-dieux et héros. Entre tous, tiki, le dieu mythique qui engendra les premiers humains et, par la suite, certains ancêtres déifiés, à la face démesurément agrandie et aux larges yeux, est présent dans tout l’art des Marquisiens. Son nom désigne toute image ou représentation, des statues au tatouage, des étriers d’échasse, aux précieux ornements en ivoire marin ivi po’o, ornements d’oreilles et manches d’éventails qui rivalisent d’imagination dans l’adaptation de sa représentation.

Ornement ivi po’o représentant « tiki », îles Marquises (objet non exposé). Os gravé. Dim. : 4,5 x 3 x 2,5 cm. © Musée du quai Branly, 71.1967.105.3. Photo : Claude Germain.

Ornement ivi po’o représentant « tiki », îles Marquises (objet non exposé). Os gravé. Dim. : 4,5 x 3 x 2,5 cm. © Musée du quai Branly, 71.1967.105.3. Photo : Claude Germain.

Des offrandes étaient placées sur ou près des statues pour honorer et attirer leur bienveillance. Petites ou grandes, elles portaient des vêtements en tapa et étaient souvent ornées de fleurs, de coquillages ou d’autres matériaux. Si les escarmouches, les rapts et les guerres entre tribus étaient fréquents, les fêtes, facteur de cohésion de la communauté, étaient innombrables. Le chant, la musique et la danse, accompagnés de flûtes, de tambours et de conques, exprimaient alors la vie au travers d’une mort omniprésente en ce bout du monde polynésien, parfois coupé de tout et de tous.

Les sculptures en bois sont rares à Tahiti. On y trouve des manches d’éventail ornés de personnages dont l’accent semble être mis sur la forme fœtale de la silhouette, évoquant le pouvoir créateur de tane qui mit en gestation, dans le sein de la Terre-Mère, le fœtus de tiki. Ces figures sont anthropomorphes et représentent des dieux ou des ancêtres déifiés, réaffirmant ainsi un lien et une filiation avec le sacré. Les éventails étaient des biens familiaux qui se transmettaient de génération en génération ; certains portaient des noms propres. Ils étaient tout autant l’apanage des hommes que celui des femmes. Symbole et garant de la chefferie, de l’aristocratie et de la prêtrise, leur pouvoir reposait sur des systèmes de castes extrêmement complexes et hiérarchisés en Polynésie. Lors de l’investiture du roi, à Tahiti, le prêtre désignait, parmi les symboles royaux, son « éventail, nation de paix ». Dans l’archipel des Australes, ils sont tout-à-fait extraordinaires, la poignée étant sculptée de figures janus mi-humaines mi-animales, accroupies et adossées l’une contre l’autre, traduisant une maîtrise évidente des lois de la géométrie et du rythme. Ils deviennent alors un véritable emblème, caractérisant l’autorité, le prestige et le rang.

Dieu des pêcheurs ou oramatua, Rarotonga, îles Cook, Polynésie centrale. XVIIIe siècle
ou début du XIXe siècle. Les pêcheurs plaçaient ces sculptures à la proue de leur embarcation après lui avoir fait des offrandes en espérant ainsi faire bon voyage et revenir avec une pêche abondante. Bois. Dim. : 42 x 16 x 16 cm.
© Staatliches Museum für Völkerkunde, Munich, 191. Photo Marietta Weidner.

Dieu des pêcheurs ou oramatua, Rarotonga, îles Cook, Polynésie centrale. XVIIIe siècle
ou début du XIXe siècle. Les pêcheurs plaçaient ces sculptures à la proue de leur embarcation après lui avoir fait des offrandes en espérant ainsi faire bon voyage et revenir avec une pêche abondante. Bois. Dim. : 42 x 16 x 16 cm.
© Staatliches Museum für Völkerkunde, Munich, 191.Photo Marietta Weidner.

Dieu des pêcheurs ou oramatua, Rarotonga, îles Cook, Polynésie centrale. Fin du XVIIIe siècle
ou début du XIXe siècle. Cette statue est l’une des rares représentations du dieu des pêcheurs. La tête hypertrophiée repose directement sur les épaules et le corps est peint de motifs de tatouage. Bois et pigment noir. Dim. :
33 x 15,5 x 14 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, OC.9866. Tous droits réservés.

Dieu des pêcheurs ou oramatua, Rarotonga, îles Cook, Polynésie centrale. Fin du XVIIIe siècle
ou début du XIXe siècle. Cette statue est l’une des rares représentations du dieu des pêcheurs. La tête hypertrophiée repose directement sur les épaules et le corps est peint de motifs de tatouage. Bois et pigment noir. Dim. :
33 x 15,5 x 14 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, OC.9866. Tous droits réservés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des îles Cook nous sont parvenues d’étranges représentations que l’on pourrait qualifier de « baroques ». Ces bâtons sculptés provenant de Rarotonga, personnifient le dieu créateur tangaroa, dont l’artiste n’a voulu retenir, comme traits marquants, que la tête aux yeux bridés, une bouche fendue et le phallus. Entre ces deux points anatomiques fondamentaux se trouvent placés des figurines assises illustrant les générations qui se succèdent.

Partie supérieure d’un dieu bâton, Rarotonga, îles Cook, Polynésie Centrale, probablement XVIIIe siècle
ou antérieur. Bois. H. : 72,5 cm. ©
Museum of Archaeology and Anthropology, Cambridge University, E 1895.158 (Z 6099).

Partie supérieure d’un dieu bâton, Rarotonga, îles Cook, Polynésie Centrale, probablement XVIIIe siècle
ou antérieur. Bois. H. : 72,5 cm. ©
Museum of Archaeology and Anthropology, Cambridge University, E 1895.158 (Z 6099).

Les images sculptées de Mangareva témoignent, pour leur part, d’une prodigieuse faculté d’abstraction tandis qu’à Hawaii, les figurations ayant la charge d’attirer sur elles tout ce qui pourrait entraver le cours de la paix se distinguent par leur expression grimaçante, une bouche en forme de « huit », une forte musculature et une épaisse chevelure.

Pendentif, Maori, Aotearoa (Nouvelle-Zélande) (objet non exposé). Néphrite-jade et cire à cacheter européenne. Dim. : 10 x 5 x 1 cm. © Musée du quai Branly. Inv. : 72.84.226. Photo Patrick Gries/Valérie Torre.

Pendentif, Maori, Aotearoa (Nouvelle-Zélande) (objet non exposé). Néphrite-jade et cire à cacheter européenne. Dim. : 10 x 5 x 1 cm. © Musée du quai Branly. Inv. : 72.84.226. Photo Patrick Gries/Valérie Torre.

L’art du jade est l’apanage de la Nouvelle-Zélande ainsi que la sculpture architecturale — linteaux, panneaux et poteaux sculptés — ornant les maisons communes wharenui et les greniers pataka. Des sculptures qui racontent l’histoire des ancêtres fondateurs et autres héros ainsi que les événements marquants de l’histoire du groupe, chaque tribu possédant son propre style d’expression artistique.

Chef de guerre Te Rauparaha représenté sur son canoë, Maori, Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Polynésie du Sud, vers 1835. Bois. Dim. : 43,5 x 50 x 32,5 cm. ©
National Gallery of Australia, Canberra, 1978.95.

Chef de guerre Te Rauparaha représenté sur son canoë, Maori, Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Polynésie du Sud, vers 1835. Bois. Dim. : 43,5 x 50 x 32,5 cm. ©
National Gallery of Australia, Canberra, 1978.95.

Statuette masculine moai kavakava, Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est, milieu du XIXe siècle (objet non exposé). La tête, dont le crâne est gravé de motifs en croissant, est tournée sur le côté. Les yeux sont incrustés de coquillage et la pupille gauche conserve encore un disque d’obsidienne. En pascuan, le terme « moai » désigne toute sculpture humaine ou animale tandis que « kavakava » renvoie aux esprits des morts et des ancêtres. Les côtes saillantes et les traits émaciés du visage, caractéristiques de ce type de représentation, évoquent ainsi le monde de l’au-delà. Certaines de ces figures pouvaient être portées autour du cou. D’autres étaient manipulées lors de rituels. Transmises de génération en génération, toutes étaient précieusement conservées dans les maisons, enveloppées dans de l’étoffe d’écorce. La forme générale et la représentation de profil suivent les formes tortueuses du morceau de bois. Bois de Sophora toromiro, coquillage et obsidienne. H. : 29,3 cm. Inv. : 72.53.290. © Musée du quai Branly. Photo Patrick Gries.

Statuette masculine moai kavakava, Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est, milieu du XIXe siècle (objet non exposé). La tête, dont le crâne est gravé de motifs en croissant, est tournée sur le côté. Les yeux sont incrustés de coquillage et la pupille gauche conserve encore un disque d’obsidienne. En pascuan, le terme « moai » désigne toute sculpture humaine ou animale tandis que « kavakava » renvoie aux esprits des morts et des ancêtres. Les côtes saillantes et les traits émaciés du visage, caractéristiques de ce type de représentation, évoquent ainsi le monde de l’au-delà. Certaines de ces figures pouvaient être portées autour du cou. D’autres étaient manipulées lors de rituels. Transmises de génération en génération, toutes étaient précieusement conservées dans les maisons, enveloppées dans de l’étoffe d’écorce. La forme générale et la représentation de profil suivent les formes tortueuses du morceau de bois. Bois de Sophora toromiro, coquillage et obsidienne. H. : 29,3 cm. Inv. : 72.53.290. © Musée du quai Branly. Photo Patrick Gries.

 

Plus besoin de présenter Rapa Nui (l’île de Pâques) et ses statues colossales, ses mystérieuses tablettes et ses étonnantes statuettes. Les premières sculptures moai kavakava, dites statuettes à côtes, ont été recueillies lors du second voyage de Cook, en 1774. Transmises de génération en génération, le lobe distendu des oreilles est le signe d’un grand âge, qui rattache ces statuettes au monde des humains, au même titre que les glyphes gravés sur le crâne qui sont sans doute des marques particulières de lignages, de corporations ou de toute forme de subdivision sociale attestant l’existence d’identités territoriales. En revanche, les côtes (en pascuan kavakava) évoquent des revenants que les prêtres devaient chasser afin qu’ils ne tourmentent pas les vivants. Les pommettes saillantes, le menton pointu, montrent que ces personnages décharnés, proches de l’état squelettique, appartiennent au règne des entités surnaturelles. Ainsi partagées entre les vivants et les morts, ces sculptures soulignent la fragilité de l’homme en proie aux métamorphoses de la nature.

« Homme-oiseau » (détail), Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est. Avant 1826. © Kunstkamera (Musée d’ethnographie et d'anthropologie Pierre-le-Grand de l’Académie des sciences de Russie), Saint-Pétersbourg.

« Homme-oiseau » (détail), Rapa Nui (île de Pâques), Polynésie de l’Est. Avant 1826. © Kunstkamera (Musée d’ethnographie et d’anthropologie Pierre-le-Grand de l’Académie des sciences de Russie), Saint-Pétersbourg.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En contemplant ces magnifiques objets, nous ne pouvons que penser aux navigateurs et aux artisans qui nous ont légué cet héritage. Bien que le contexte culturel en Polynésie ait été transformé, les Polynésiens ont aujourd’hui encore une culture vivante et dynamique. Cette superbe exposition explore une partie importante de leur histoire en présentant au plus grand nombre ces traditions artistiques encore trop méconnues.

Personnage à deux têtes, Tahiti, îles de la Société, Polynésie Centrale, début du XIXe siècle. Bois. Dim. :
59 x 43 x 20 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, Oc.1955.10.1. Tous droits réservés.

Personnage à deux têtes, Tahiti, îles de la Société, Polynésie Centrale, début du XIXe siècle. Bois. Dim. :
59 x 43 x 20 cm. © The Trustees of the British Museum, Londres, Oc.1955.10.1. Tous droits réservés.

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