L’art des îles Salomon est trop souvent sous-estimé, et ce, malgré les nombreux articles, publications et expositions qui lui ont été consacrés ces dernières années, en particulier, par Deborah Waite — professeur à l’University of Hawai’i —, la dernière en date étant : Varilaku, Pacific Arts from the Solomon Islands (co-commissaire avec Crispin Howarth, National Gallery of Australia, 2011). Pourtant, comme en témoigne cette manifestation, cet art a engendré quantité de merveilles qui attestent de la virtuosité créatrice et de la maîtrise technique de ces populations.

« A Roas bay chief – Malaita – Solomons ». Photographe : Beattie, John Watt. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Dim. du tirage : 10,2 x 14,8 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : PP0194153.
C’est à la découverte de cet archipel, situé dans l’océan Pacifique, à l’est de la Papouasie Nouvelle-Guinée, que le musée du quai Branly, Magali Mélandri, commissaire — qui a effectué de nombreuses recherches in situ, depuis 1989 —, et Sandra Revolon, conseiller scientifique, nous invitent, du 18 novembre 2014 au 1er février 2015.

Personnage masculin assis. Village de Nimbelowi à l’est du cap Mendana, îles Salomon. Fin XVIIIe-début XIXe siècle. Dieu Requin ancêtre du clan. Bois patiné au noir de fumée. Dim. : 17,5 x 7 x 7,5 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 71.1969.51.25. Photo : H. Dubois.
Le titre fait référence aux : « […] phénomènes lumineux d’iridescence et de contraste omniprésents dans l’environnement maritime des Salomon et [qui] sont souvent associés à la présence des “ombres”, les entités surnaturelles ou les esprits puissants des défunts. D’ouest en est, les vivants, en reproduisant ces effets visuels dans la fabrication des objets, cherchent à matérialiser les relations qu’ils entretiennent avec ces esprits des morts et ces entités surnaturelles ».
Le premier Européen à atteindre l’archipel des îles Salomon fut l’explorateur espagnol Álvaro de Mendaña de Neyra, neveu du gouverneur du Pérou, alors âgé de vingt-cinq ans, en 1568. À partir de Santa Isabel, dénommée ainsi en l’honneur de la sainte patronne de l’expédition, il passa, avec son équipage, plusieurs mois à explorer les différentes îles, en proie à une vive animosité des indigènes, tentant, sans grand succès, d’y établir une colonie. De retour au Pérou, en 1569, officiers et marins propagèrent la rumeur selon laquelle on y aurait découvert de l’or, forgeant ainsi la légende suivant laquelle cet archipel se trouverait être le légendaire pays d’Ophir d’où le roi Salomon aurait tiré ses richesses, en particulier, le précieux métal destiné à orner le temple de Jérusalem. Plus prosaïquement, ces hommes furent probablement captivés par le scintillement des pyrites de fer enchâssées dans le pommeau des courtes massues cérémonielles wariihau.

Bâton cérémoniel wariihau, Malaita, îles Salomon. Bois, résine de noix de parinarium, nacre de nautile, pyrite de fer et fibres végétales. © Musée du quai Branly. N° inv. : 70.2014.15.2. Photo C. Germain.
Ainsi, ces îles furent-elles, plus tard, dénommées îles « Salomon ». Oublié pendant deux siècles, il faudra attendre les visites successives du navigateur britannique Philip Carteret, en 1767, et de l’explorateur français Louis Antoine de Bougainville, en 1768, pour que cet archipel soit redécouvert. Les premiers missionnaires, précédés par les chasseurs de baleine, les marchands de bois de santal et les trafiquants d’esclaves, y débarquent, dans les années 1850. Les contacts sont difficiles, la réputation de férocité et de cruauté des habitants n’étant pas usurpée. Face à l’expansion coloniale dans cette région, les îles Salomon deviennent un protectorat de l’Empire britannique, au début des années 1890, avant leur autonomie, en 1976, et leur indépendance, en 1978.
Les premiers peuplements papous, austronésiens et polynésiens qui se sont succédé dans cet archipel, pendant vingt neuf mille ans, furent le creuset d’une grande diversité culturelle. Composé d’environ neuf cents îles et îlots, on distingue principalement, du nord au sud, les îles Buka et Bougainville (qui appartiennent aujourd’hui à la Papouasie Nouvelle-Guinée, ainsi que Nissan), Choiseul, Vella Lavella, de la Nouvelle-Géorgie (parfois appelée Roviana), Santa Isabel, Florides, Malaita, Guadalcanal (entrée dans l’histoire avec les sanglants combats de 1942), San Cristobal et Santa Cruz (unique région, en dehors de la Micronésie, où l’on pratique l’art du tissage et où s’échouèrent, à Vanikoro [îles Santa Cruz], en 1788, les deux navires de La Pérouse, La Boussole et L’Astrolabe). Une autre caractéristique des îles Salomon et la quantité de langues et de dialectes utilisés : cent onze !
L’art des îles Salomon se distingue des autres productions du Pacifique par les étroites relations entretenues par les insulaires avec la mer, source d’inspiration majeure : la bonite (sorte de thon), le requin, l’oiseau frégate, le crocodile, le chien et divers animaux marins associés à la figure humaine, forment l’essentiel du répertoire iconographique. L’aspect et la fonction sont intimement liés aux notions de prestige et de pouvoir, de relation aux esprits, à la chasse aux têtes, aux cérémonies funéraires et à l’environnement marin. Même si chaque île a ses particularités, il s’agit d’un art homogène, caractérisé par la sobriété et l’utilisation de la couleur noire (sorte de laque composée de sève de toko [Macaranga similis] et de charbon de bois) qui recouvre statues, bols et ornements de pirogue, généralement rehaussés d’incrustations de plaquettes de nacre découpées. Comme ailleurs en Mélanésie, la perméabilité entre le monde des morts et celui des vivants est caractéristique des sociétés salomonaises. D’un point de vue spirituel, la présence des ancêtres se manifestait à travers ces objets pour aider les hommes au succès des entreprises majeures qu’étaient l’édification des lieux de réunion sacrés, la fabrication d’un canot de navigation en haute mer ou, jusqu’à la fin du XIXe siècle, de la mise à l’eau d’un canot de guerre à l’occasion d’une chasse aux têtes, mais aussi de la pêche à la bonite, des récoltes, des initiations, des mariages…

Pirogue funéraire, village de Sa’a, île Maramasike, province de Malaita, îles Salomon, milieu du XIXe siècle. Bois noirci, résine de noix de parinarium incrustations de nacre, tissu, graines, plumes, coquillages, fibres végétales et pigments.
Dim. : 350 x 127 x 37 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 72.1988.2.1. Photo P. Gries.
Ainsi, le culte des esprits ancestraux prédominait, impliquant des rites funéraires élaborés et des rituels de deuil au cours desquels le mort pouvait accéder à un statut de puissance protectrice, en particulier, à travers la préservation de son crâne (acte généralement réservé aux personnages importants et aux têtes d’ennemis). Certains crânes étaient surmodelés et incrustés de fragments de nautile reprenant les motifs tracés à la chaux sur le visage des hommes pour les grandes occasions. Sur d’autres étaient fixés des anneaux de coquillage. Dans les provinces occidentales et orientales, les reliquaires à crâne permettaient aux vivants de maintenir, au travers de rituels et d’offrandes, les relations avec les défunts et de contrôler le pouvoir généré par leur passage à l’état d’ancêtre, appelé mana. À l’ouest de Choiseul, les os ou les cendres des défunts étaient conservés dans des urnes en pierre ou en céramique.

Reliquaire en forme de grand poisson apparenté au thon, en bois peint noir, île d’Owaraha. Début du XXe siècle. Bois, crâne et pigments. Dim. : 35,3 x 15,5 x 211,5 cm.
© Musée du quai Branly, N° inv. : 71.1961.103.56.1-5. Photo : P. Gries, V. Torre.
Dans les îles occidentales, des « huttes » miniatures servaient à recevoir les crânes des ancêtres éminents alors que, dans les îles orientales, on utilisait un reliquaire en forme de poisson dont le centre, évidé, abritait le crâne alors que les os longs du défunt étaient déposés dans des modèles de pirogue.

« Tabou House à Santa Anna ». Voyage du Comte Rodolphe Festetics de Tolna, 1893-1901. Tirage sur papier albuminé monté sur carton. Dim. du montage : 23,5 x 30 cm
© Musée du quai Branly N° inv. : PP0155990.
Ces derniers étaient généralement posés sur l’extrémité fourchue de gros poteaux, dans les maisons cérémonielles ou les hangars où étaient entreposées les grandes pirogues de pêche et de guerre et où les jeunes garçons passaient leur période d’isolement initiatique. Ces grandes constructions tabou, au décor très élaboré, servaient également de lieu de rassemblement pour les fêtes. Les poteaux centraux et latéraux, principal élément ornemental, étaient sculptés, soit de figures d’ancêtres, soit de personnages récemment disparus qui avaient acquis un prestige considérable, suite à leurs actions ou à leur mort violente. Ces représentations chargées de pouvoirs — souvent accompagnées d’oiseaux et de poissons — servaient à protéger le bâtiment. Des dieux invoqués lors des combats prenaient parfois l’aspect d’un requin et des chefs ou des personnages prestigieux pouvaient s’incarner, après leur mort, dans des espadons ou des requins qui devenaient alors des divinités tutélaires.

« Mission des Salomon Septentrionales – Groupe d’initiés à la Société secrète de l’esprit Toubouan. L’initié s’engage à fuir le contact des femmes aussi longtemps qu’il porte le chapeau, insigne de la Société secrète. » . Photographe inconnu. Carte postale. 9,2 x 13,8 cm.
À l’instar de nombreuses sociétés océaniennes, les rites d’initiation occupaient une place centrale. Les initiés de la société ruk-ruk (îles Bougainville et Buka) portaient de spectaculaires bonnets upi en feuilles teintées et cousues. Rites initiatiques, culte des ancêtres, récoltes ou pêches fournissaient l’occasion de grandes festivités où les chefs arboraient les objets symbolisant leur influence. Au cours de ces festivités étaient exécutées des danses durant lesquelles les interprètes utilisaient des bâtons à la lame incurvée.

Figure féminine portant un récipient sur la tête. Guadalcanal, îles Salomon. Bois (Alstonia scholaris), nacre, graines (Triumfetta romboides). Dim. : 64 x 26 x 22 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 71.1977.42.1. Photo C. Germain.
Au contraire des masques, forme d’expression inusuelle dans ces îles (à l’exception des îles septentrionales de Nissan où l’on trouve des masques en fibre d’écorce tissée et tendue sur un cadre en jonc ou en bambou et recouvert d’un enduit résineux et de Buka où l’on rencontre des masques coniques janus, également en fibre d’écorce), les effigies anthropomorphes personnifiant un esprit protecteur ou un ancêtre sont courantes dans l’art de l’ensemble de l’archipel, en particulier au sud de l’île de Bougainville.

Poteau de maison des hommes, île d’Owaraha, village de Gupuna, îles Salomon. Bois. H. : 245 cm. © Musée du quai Branly ; Ex-coll. Charles Ratton-Guy Ladrière, Paris. Photo C. Germain.
Les figures assises avec les genoux repliés et les mains jointes sous le menton — position faisant référence aux coutumes funéraires — et les figures de proue de pirogues consistant en une tête, des bras et des épaules, étaient prédominants dans l’ouest. Certaines portent un bol sur la tête, d’autres, féminines, se tiennent debout, tenant à la main une canne et auraient peut-être eu comme fonction d’apparaître lors des rituels marquant le changement de nom des jeunes filles après leurs premières menstruations et aussi parfois lors des rites de mariage. D’autres encore, non sacrées et visibles par tous, étaient sculptées à l’occasion de la cérémonie finales des rites d’initiation des jeunes garçons. De Nouvelle-Géorgie proviennent des sculptures de femmes debout, réalistes, peut-être produites pour être vendues aux Européens de passage. Peintes en noir, elles sont généralement coiffées d’une calotte ou, à Bougainville, d’une sorte de bulbe, le visage se distinguant par ses tatouages et la manière dont sont distribués les motifs — généralement formés de cercles et de motifs géométriques —, les oreilles sont disposées en saillie, les yeux sont incrustés de nacre tandis que le nombril est circonscrit par un fin anneau en coquillage. Les bracelets qu’elles portent aux poignets, aux bras et aux mollets sont figurés par des cercles gravés.

Monnaie de plumes et charmes, île de Nendö, îles Santa Cruz. Début du XXe siècle. Bois, plumes, fibres d’hibiscus, graines et coquillages. Dim. : 18 x 41 x 41 (enroulée). © Musée du quai Branly. Ex-coll. La Korrigane, 1935. N° inv. : 71.1961.103.115. Photo : C. Germain.
Les représentations du crocodile sont en relation avec les fréquentes guerres et les chasses aux têtes, en particulier dans la région de Roviana, et servaient d’emblèmes de pouvoir ou de statut liés à la position de chef. On en trouve un certains nombres ornant les bâtons de cérémonies, incrustés de nacres, tenant ou dévorant des têtes humaines ou des cochons. En provenance de l’Asie du Sud-Est, la mastication du bétel est commune à toute la Mélanésie. Comparativement à d’autres régions comme les Trobriand ou l’Amirauté, peu d’exemplaires de spatules à chaux provenant des Salomon sont parvenus jusqu’à nous. La rareté de ces objets laisserait supposer qu’ils étaient réservés à une élite plutôt qu’à un usage commun.

Grand bol sacré à nourriture, province de Makira-Ulawa, île Owaraha, village de Netagere, îles Salomon, début du XXe siècle. Bois noirci et incrustation de nacre. Dim. : 32 x 78 x 31 cm. © Musée du quai Branly, N° inv. : 71.1962.1.89. Photo : C. Germain.

Bol cérémoniel, île Makira, îles Salomon. Milieu du XIXe siècle. Bois, incrustations de nacre et de coquillage.
Dim. : 49 x 40 x 161 cm. © Musée du quai Branly, N° inv. : 72.84.341. Photo C. Germain.
Autre particularité, l’utilisation de tout un assortiment de bols et autres récipients dont la diversité et les dimensions reflètent les différences culturelles des îles, qu’ils soient en bois, en bambou ou en noix de coco. Les plus spectaculaires, pouvant mesurer jusqu’à deux mètres de longueur, étaient, dans l’est de l’archipel, de grands bols cérémoniels en bois, incrustés de coquillages, utilisés lors des repas collectifs liés à la commémoration des défunts et aux clôtures de deuil, et à l’occasion de cérémonies ou de rites d’initiation des jeunes garçons pour la consommation de la purée de taro. Ces récipients étaient fabriqués par les hommes et conservés à l’intérieur des maisons coutumières où ils étaient alors traités comme un substitut du défunt. Les anses peuvent être ornées de requins ou de frégates. De plus petits, utilisés lors de festins rituels pour les esprits tutélaires individuels pouvaient prendre la forme de l’oiseau frégate et, plus rarement, d’un chien évoquant un esprit mythologique du nom de Tiola.

« Food Bowls, Solomon Islands. » Melanesian Mission Pictorial Post Card.—Series I. Photographe inconnu. Carte postale. 9 x 13,8 cm.
Particulièrement présents, les ornements corporels et les monnaies étaient étroitement liés à la vie culturelle, politique et rituelle. Réalisés à partir de matériaux issus du monde de la forêt et du monde marin, leurs surfaces brillantes ou leurs couleurs vives donnaient à admirer pouvoir et prestige qui étaient des valeurs fondamentales pour les sociétés des îles Salomon. L’ornementation du corps humain par la pratique de la scarification, la teinture des cheveux et l’usage de nombreuses parures — peignes, ornements d’oreille et de nez, pendentifs et pectoraux, anneaux de bras, colliers, brassards et ceintures —, témoigne d’une recherche esthétique particulièrement développée. Si chaque région produisait ses propres accessoires, ils témoignent toujours d’une grande recherche de préciosité, les matériaux les plus utilisés étant l’écaille de tortue, les coquillages et les dents d’animaux (dauphin, chien, cochon et chauve-souris) ainsi que certaines fibres, en particulier celles d’orchidées.

Peigne masculin, province de Makira-Ulawa, îles Salomon, XIXe siècle. Bois, coquillage, fibres végétales tressées, résine, pigment noir (suie). Dim. : 8,7 x 26,7 x 0,7 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 71.1999.56.1. Photo C. Germain.

Brassard ou jambière, îles Salomon, XIXe-XXe siècle. Disques de coquillage et fibres. Dim. : 19,7 x 11,4 cm. © The Metropolitan Museum of Art ; Bequest of John B. Elliott, 1997. Inv. : 1999.47.134b.
Les parures corporelles exécutées à partir de petits disques de coquillages de différentes couleurs formant des motifs géométriques étaient portées par les deux sexes. Réalisés par des femmes spécialisées dans la production de ces petits disques, ils jouaient un rôle éminent en tant que monnaie d’échange et signe de richesse. Les ornements d’oreille en forme de « fleur » de l’île de Bougainville, constitués de dents de chauves-souris et de perles de traite en verre, sont remarquables par leur finesse et leur complexité. Des peignes à la forme unique, aux modelés et aux motifs tressés variés, étaient portés par les hommes dans toute la région du sud-ouest.

Pendentif (ulute ou papafita), XIXe-XXe siècle, Malaita, îles Salomon. Coquillage Tridacna et pigment. Ø : 6,4 cm. © The Metropolitan Museum of Art ; Bequest of John B. Elliott, 1997. Inv. : 1999.47.21.
Les grands anneaux, les plaquettes votives funéraires ajourées barava taillées dans la coquille géante d’un bénitier fossile (Tridacna gigas) et les ornements personnels en coquillage jouaient un rôle significatif quant au statut et à l’autorité, assurant les relations entre les individus, le monde terrestre et le monde des esprits. Ces objets de prestige étaient acquis au travers de réseaux d’échanges — commerciaux ou rituels — qui pouvaient s’étendre sur plus d’une île.

Parure de front, île Malaita, îles Salomon. Début du XIXe siècle. Coquillage, écaille de tortue, fibres d épandants teintées. Dim. : 17 x 17,3 x 2 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 72.84.405. Photo : C. Germain.

Pectoral kap-kap, île Santa Catalina ou Santa Ana, îles Salomon, XIXe-XXe siècle. Écaille de tortue, disque de bénitier fossile, perles de verre, dents de marsouin, graines et fibre. Dim. : 17,8 x 18,1 x 1,9 cm. © The Michael C. Rockefeller Memorial Collection ; Gift of Mr. and Mrs. John J. Klejman, 1961. Inv. : 1978.412.786.
Considérés comme une forme de « dialogue » inscrits dans un système compensatoire, les guerres, les expéditions de chasse aux têtes et les meurtres commandités étaient courants dans l’archipel, jusqu’à la pacification britannique imposée dans les années 1890. Canots, sculptures élaborées, armes et charmes magiques participaient de l’efficacité de ces pratiques prédatrices. Si le succès militaire était souvent la clef du pouvoir, la guerre — généralement de courte durée — permettait également d’améliorer son statut social et d’augmenter son prestige. Les armes, symboles d’autorité et de domination, étaient alors parfois portées comme un élément du costume et apparaissaient aussi lors des fêtes et des cérémonies. Les plus communes étaient les arcs et les flèches, les lances, les casse-tête et les massues. En bois de palmier et roseau, ces flèches sont délicatement incisées tandis que l’arc est décoré de fibre d’orchidée. Bien que les lances constituaient des armes usuelles, les plus élaborées avaient aussi une fonction cérémonielle. Celles munies de barbelures sont également richement ornées d’un tressage formant une série de zigzags en fibres rouges et jaunes et de figures gravées. Les massues utilisées lors de rituels, de cérémonies ou de guerres sont une particularité des Salomon, en particulier, les massues de défense roromaraugi.

Bouclier/massue roromaraugi, île Makira, îles Salomon. Bois, fibres et coquillage. Dim. : 138 x 41,5 x 4,3 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 72.53.480. Photo C. Germain.
À la fois bouclier et massue, ces roromaraugi se distinguent par une lame évasée en forme de pagaie dont le manche est sculpté d’une figurine anthropomorphe accroupie aux traits typiquement prognathes, assise, avec une coiffure en pointe. Les massues courtes ou bâtons n’appartenaient autrefois qu’aux guerriers dont ils symbolisaient le pouvoir. Ils étaient portés dans le dos à l’aide d’un cordon passé autour du cou, en particulier lors de chasses à l’homme et lors de la remise cérémonielle du butin. Les plus connues, provenant de Malaita, sont des massues courtes de combat à la forme particulière en losange appelées supi dont la partie inférieure est gainée d’un tressage en fibres de coco. Certaines de ces armes étaient gravées de motifs ou ornées de délicates incrustations en coquille de nautile. De plus rares étaient sculptées à l’une de leur extrémité de la gueule d’un crocodile — emblème de statut lié à la position de chef — tenant une tête humaine entre ses mâchoires. Plus qu’un monstre dévorant une infortunée créature, il s’agit probablement de la représentation d’une relation protectrice où l’être humain est appréhendé comme l’émanation d’un ancêtre. Les bâtons de danse de Santa Cruz, de forme courbe, se terminant en pointe et ornés de motifs peints en losange et de visages schématiques était utilisés pour la danse cérémonielle appelée napa. De Buka et Bougainville proviennent des instruments de danse, sortent de pagaies, ornées d’une tête janus.

Casse-tête supi, Malaita, îles Salomon. Bois et fibres. L. : 76,8 cm. © Bonhams, San Francisco, lot 4060, le 12 février 2010. Coll. privée.
Les haches composées d’une lame européenne importée d’Angleterre attachée à un long manche en bois existent depuis le XIXe siècle, elles étaient tout particulièrement arborées dans les conflits comme symboles de pouvoir, de statut et de prestige par leurs propriétaires. Les modèles richement ornés étaient prisés par les hommes de haut rang. Elles apparaissaient également aux enterrements de leurs propriétaires où elles pouvaient être détruites, en même temps que d’autres biens précieux.

Bouclier de parade, île Santa Isabel, îles Salomon. Collecté avant 1852 par le capitaine James Booth, chirurgien, de la British Royal Navy. Âme en vannerie, pâte de noix de parinarium, coquilles de nautile et pigments rouge et noir. Dim. : 80,6 x 29,8 x 6,4 cm. © Avec l’aimable autorisation du Brooklyn Museum ; Frank L. Babbott Fund and Carll H. de Silver Fund. Inv. : 59.63. Creative Commons-BY.
Pour se protéger de cet arsenal — qui n’est pas sans évoquer les nombreuses expéditions guerrières à la chasse aux têtes qui rythmaient la vie aux Salomon —, les combattants utilisaient trois types principaux de boucliers, les uns faits en fibres enroulées, de forme elliptique, des îles de Guadalcanal et de Nggela (Florida), les autres en bois léger, de forme ovale, rétrécie vers le haut et se terminant en ogive et ornés de fins motifs géométriques suggérant l’oiseau frégate, des représentations gravées et peintes tendant à rendre visible une force spirituelle destinée à protéger les guerriers ; également de forme elliptique mais pointu au sommet, typiques de Nouvelle-Géorgie, généralement ornés de motifs géométriques entrelacés, dénommés lave kubere, ces derniers étaient réservés aux chefs et utilisés dans les achats et ventes de terres, mais en aucun cas lors des combats.

Bouclier de parade de forme oblongue, île de Santa Isabel, XIXe siècle. Écorce, incrustations de nacre, bambou, pâte de noix de parinarium. Dim. : 87,5 x 23 cm. © Musée du quai Branly ; ex-coll. Hunter. N° inv. : 70.2003.4.1. Photo P. Gries.
Le troisième modèle est unique, sorte de bouclier de parade de l’île Santa Isabel constitué de lames de bois revêtues de pâte de noix de parinarium dans laquelle sont incrustés des morceaux de coquille de nautile. Suivant le contour du bouclier, ces fines incrustations dessinent de petits visages anthropomorphes insérés entre des motifs linéaires entourant une image centrale, probablement une allusion au rite essentiel que représentait la chasse aux têtes dans les îles Salomon de l’ouest. S’il est difficile de penser qu’un bouclier au décor aussi complexe ait pu servir lors de batailles, il est possible d’envisager son usage pour des cérémonies et que, en raison de leur nombre relativement restreint, ces boucliers étaient l’apanage des chefs les plus influents.
Au XIXe siècle, des raids étaient fréquemment effectués pour se procurer ces indispensables têtes. La possession d’une pirogue de guerre et de têtes prises au combat conférait un immense prestige aux chefs et leur valait une profusion d’ornements et d’anneaux de coquillages. Ces raids à pirogue consistaient à se procurer les trophées indispensables pour accompagner les rituels essentiels — mort d’un chef, construction d’une pirogue ou d’une maison commune. Prendre la vie d’un ennemi, c’était aussi s’emparer de sa puissance. Ces pirogues à la poupe et à la proue très relevées, enrichies d’incrustations en nacre et de pendeloques en coquillage, arboraient, au ras de l’étrave — à l’arrière de la figure, des encoches en bois permettaient de fixer l’ornement au niveau de la ligne de flottaison — le fameux toto isu (lagon de Marovo) ou nguzunguzu (lagon de Roviana, île de Nouvelle-Géorgie), censé protéger les embarcations et leurs occupants des esprits marins malveillants et repousser les fantômes de mer responsables des vents et des tempêtes. Ces esprits pouvaient également, sur certaines îles (Nouvelle-Géorgie), assurer le succès d’une chasse aux têtes.

Figure de proue, lagon de Morovo ( ?), îles de Nouvelle-Géorgie. Bois teinté, nacre et résine. Dim. : 20 x 8,7 x 12,2 cm. © Musée du quai Branly. Don prince Roland Bonaparte. N° inv. : 71.1887.67.7. Photo C. Germain.

Figure de proue, lagon de Roviana, îles de Nouvelle-Géorgie. Bois teint en noir, nacre, pigments et résine. Dim. : 27 x 10,5 x 13,4 cm. © Musée du quai Branly ; ex-coll. Roland Tual. N° inv. : 72.1989.5.1. Photo P. Gries, B. Descoings.
Ces sculptures dépeignent la manière particulière aux îles Salomon de représenter la face, exagérément grande et prognathe, coiffée d’une calotte parfois incrustée de graines, les lobes des oreilles allongés et élargis par le port d’un ornement. Les yeux, les joues, les mâchoires et les sourcils sont incrustés de coquille de nautile simulant les peintures de guerre. Cette personnification trouverait son origine dans un mythe en relation avec la création où interviendrait un chien mythologique dont le long museau se retrouverait stylisé dans le visage d’un ancêtre humain, représentation animale que l’on retrouve dans certaines coupes. Elles sont si nombreuses que l’on peut raisonnablement penser qu’elles étaient utilisées à diverses fins, fait l’objet d’échanges et aient servi de butin de guerre.
Pour manœuvrer et propulser ces pirogues, on utilisait des pagaies simples, caractérisées par leurs longues pales pointues présentant parfois, à leur extrémité, une olive permettant de la tenir plus facilement. La longue pale pointue est souvent embellie d’un décor peint en noir de motifs géométriques et d’un esprit de la mer anthropomorphe composé d’oiseaux et de requins. Les pagaies hose, provenant de Buka et de Bougainville, se caractérisent par leurs longues pales pointues dont beaucoup sont ornées de figures assises, les genoux repliés, coiffés d’une épaisse chevelure en forme de bulbe, appelées kokorra ou beku. Utilisées pour manœuvrer les pirogues, elles pouvaient également être exposées, en tant que bien personnel, lors de certains rituels.

Élément supérieur de proue de canot, Nouvelle-Géorgie, îles Salomon. Bois, nacre et enduit résineux. Dim. : 59,5 x 14 x 3 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 71.1961.103.336. Photo C. Germain.

Élément de décor de canot, île Nouvelle-Géorgie, îles Salomon. Bois, nacre et pigments. Dim. : 23,5 x 11 x 3,8 cm. © Musée du quai Branly. N° inv. : 71.1930.29.743 O. Photo : P. Gries, V. Torre.
La pêche était une ressource indispensable à la vie des populations et ce vertébré aquatique avait également un rôle religieux. Les techniques, le matériel, les espèces capturées ainsi que les lieux de pêche étaient souvent entourés d’un contexte symbolique qui, au-delà des préoccupations liées à la subsistance, transformaient la pêche traditionnelle en une activité rituelle.

Flotteur de filet, îles Salomon fin du XIXe siècle, début du XXe siècle. Bois et pigment. Dim. : 21,3 x 5,1 x 5,4 cm. © The Metropolitan Museum of Art, The Michael C. Rockefeller Memorial Collection ; Bequest of Nelson A. Rockefeller, 1979. Inv. : 1979.206.1483.
Les larges filets communs étaient maintenus à fleur d’eau à l’aide de flotteurs en bois léger dont certains dépeignent des oiseaux, des poissons ou des êtres surnaturels. Symboliquement, une étroite relation existait entre la pêche à la bonite — qui représentait une étape importante du rite d’initiation des jeunes garçons — et la chasse aux têtes, les rituels régissant ces deux activités étant analogues. Façonnés à partir de fragiles fragments de coquillage, d’os, de bois, d’écaille de tortue, d’ivoire, de dents et autres matières, les formes de ces hameçons — certains pouvaient être exclusivement conçus à des fins rituelles — ajoutaient à leur fonction utilitaire une dimension esthétique.
Catalogue : L’éclat des ombres. L’art en noir et blanc des îles Salomon. Œuvre collégiale publiée, en français, sous la direction de Magali Mélandri, responsable des collections Océanie au MQB, enseignante en histoire des Arts et des Cultures du Pacifique à l’École du Louvre et Sandra Revolon, ethnologue au CREDO-EHESS, Université Aix-Marseille, spécialiste de l’île Aorigi (Salomon orientales). Coédition MQB/Somogy éditions d’Art, Paris, 2014. Format : 22 x 28 cm, 224 pp. Cartes, 134 ill. coul. et 26 N/B et bichro. Broché avec rabats : 39,00 €. ISBN : 9-782757-208052.