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“les lumbu – un art sacré – bungeelë yi bayisi”

En nous proposant un panorama complet des nombreux styles et des différentes expressions artistiques émergeants de cette vaste région, Charlotte Grand-Dufay nous livre ici la somme qu’il manquait sur l’art lumbu.

Situés dans le sud-ouest du Gabon et de la République du Congo, les Lumbu font partie du groupe eshira. Souvent associés aux Punu pour leurs célèbres masques à la coiffure tressée en kodia et au visage blanchi au kaolin, ils ont aussi sculpté statues, reliquaires, amulettes et objets de prestige. Au début du XXe siècle, un petit nombre de ces œuvres séduisirent les artistes occidentaux et enrichirent de grandes collections telles que celles de Paul Guillaume, d’Alfred Barnes ou d’Helena Rubinstein.

Statue de chimpanzé. Bois, pigments et bleu Guimet. H. : 45 cm. Coll. Privée. © N. Bruant.

Statue de chimpanzé. Bois, pigments et bleu Guimet. H. : 45 cm. Coll. Privée. © N. Bruant.

Le panthéon était dominé par trois divinités qui ne faisaient pourtant l’objet d’aucun culte : Mbumba, le python arc-en-ciel, mâle, de couleur jaune, il est dangereux et provoque le tonnerre, femelle, de couleur noire, il combat la pluie et les inondations. Source de vie et de mort, ce python reste inséparable de Bunzi, divinité féminine suprême et maîtresse de tous les esprits de la terre. Funza occupait une fonction complémentaire à celui des deux autres divinités dans le rôle de la procréation.

 

 

Figure de reliquaire dans un panier. Bois, verre, fibres, kaolin, pigments et bleu Guimet. H. : 48 cm. Collectée après Mambi (lagune de Mayumba), vers 1970. Coll. privée. © H. Dubois.

Figure de reliquaire dans un panier. Bois, verre, fibres, kaolin, pigments et bleu Guimet. H. : 48 cm. Collectée après Mambi (lagune de Mayumba), vers 1970. Coll. privée. © H. Dubois.

 

En revanche, le culte des esprits et le fétichisme jouaient un rôle important. Parmi les principaux fétiches figurait le bouiti, commun à un grand nombre de tribus, dont le symbole est mbumba. La sculpture consiste en un bâton surmonté d’une figure humaine avec des yeux en lamelles de verre, posé dans un sac contenant un crâne. Elle se distingue par l’emploi du bleu Guimet et son triangle rouge sur le front avec, sur le ventre, un réceptacle rond, parfois recouvert d’un miroir.

 

 

 

 

Masque mukuyi-mukuji. Bois, kaolin et pigments. H. : 31 cm. Ex-coll. Helena Rubinstein, 1966 ; David Lloyd Kreeger, Kreeger Museum, Washington, D.C. © Kreeger Museum.

Masque mukuyi-mukuji. Bois, kaolin et pigments. H. : 31 cm. Ex-coll. Helena Rubinstein, 1966 ; David Lloyd Kreeger, Kreeger Museum, Washington, D.C. © Kreeger Museum.

Fabriqué dans un bois tendre et blanchi au kaolin, le masque mukuyi, à la coiffure élaborée, appartient à la société initiatique masculine du mwiri. Symbole d’autorité, il se manifestait dans la cour du village, lors des retraits de deuil de grands personnages, à la naissance de jumeaux, dans les rites de puberté et les initiations. Le danseur masqué, équipé d’échasses, tenait dans chaque main un chasse-mouche.

Pour les Africains, les cheveux, siège de l’âme et de la vie, représentaient le souffle vital. Signes de dignité, les coiffures féminines faisaient référence à différentes étapes de la vie, comme le mariage, l’accouchement ou le deuil, pour lesquelles une coiffure emblématique était façonnée. Les Lumbu présentent des coiffures à coques et à couettes communes aux Punu, aux Mpongwé et aux Téké. Toutefois, certaines coiffures sont plus spécifiques de la statuaire lumbu, notamment celle constituée de deux grandes couettes et d’un catogan plus ou moins long.

La statuaire lumbu relève de la gestuelle kongo — les groupes lumbu, punu, vili, yombé et kugni s’influencèrent mutuellement dans leur art, partageant les mêmes croyances et mythes d’origine ­—, un langage d’attitudes corporelles qui exprimait des croyances fondamentales centrées sur le culte des ancêtres. La statuette, divinisée par le ndoki (sorcier), et utilisée dans toutes les circonstances importantes de la vie, révèle les traits de l’ancêtre devenu esprit. La femme y tient une place privilégiée, due à son statut matrilinéaire et à sa faculté de reproduction. Le thème de la femme au corps idéalisé, transmettant la vie et assurant la pérennité du clan, traduit son statut sacré.

Statuette féminine. Bois et verre. H. : 15,5 cm. Ex-coll. Helena Rubinstein ; Coll. Africarium New York. © Sotheby’s.

Statuette féminine. Bois et verre. H. : 15,5 cm. Ex-coll. Helena Rubinstein ; Coll. Africarium New York. © Sotheby’s.

Le traitement naturaliste subtil de cette statuaire se révèle être une caractéristique et une constante de cette culture : longiligne, les bras collés au tronc, parfois massive, aux épaules rondes, ou encore personnages miniaturisés et naturalistes ornant les cuillers ou les sifflets à la plastique lisse, parfois oints de tukula (poudre du bois rouge Ptecocarpus tinctorius), ornés de bijoux (colliers, bracelets aux poignet et aux chevilles). Les scarifications sont des marques exécutées à l’époque de l’initiation qui a généralement lieu pendant l’adolescence. Arborées surtout par les femmes, elles ornent principalement le front et les tempes des masques et envahissent le ventre, la poitrine, les épaules et le dos des statues. Si la majorité des figures lumbu sont représentées debout, la position agenouillée est souvent associée aux statues reliquaires. En revanche, la position assise ne se trouve que sur les amulettes. Autre particularité, les statues aux « bouteilles ». Ces statuettes, qui tiennent dans chaque main une bouteille ou une calebasse ou un récipient indéterminé seraient d’influence vili et symboliseraient un geste d’offrande destiné à honorer les ancêtres ou servaient à des rites de guérison ou de divination. Des détails emblématiques : la spirale du coquillage kodia (escargot), les idéogrammes avec la croix, le losange ou les croisillons, appartiennent à la forêt des symboles du royaume kongo. Toutes ces caractéristiques associées à la gestuaire, clé de la compréhension, sont l’expression des croyances fondamentales et de la vision du monde kongo.

Amulette muswinga. Bois. H. : 15 cm. Acquise avant 1934. Coll. Privée. © H. Dubois.

Amulette muswinga. Bois. H. : 15 cm. Acquise avant 1934. Coll. Privée. © H. Dubois.

Dénommées miswinga (au singulier muswinga), les amulettes, fleuron de l’art lumbu, dont la coiffe ighodu se termine en queue de cheval, marque distinctive de la royauté kongo, que le nganga (guérisseur et féticheur) porte sur son buste, laissent entrevoir la richesse de l’âge d’or lumbu au XIXe siècle. Ces objets raffinés, frottés à la poudre de padouk mélangée à de l’huile de palme et à du charbon de bois, avaient pour fonction d’assurer la protection dans de nombreux domaines de la vie sociale : maladie, empoisonnement, chasse, pêche, grossesse, sorcellerie, etc. Si les positions sont identiques à celles des statuettes, les amulettes masculines sont aussi nombreuses que les féminines. Les thèmes sont variés : le tambourinaire — posé sur des entrelacs nkata, est le plus répandu —, la mère à l’enfant, le captif, le fumeur de pipe, scènes de sacrifice…

Couv. LumbuDans cet ouvrage, l’auteur analyse un corpus d’œuvres qui n’a pour ainsi dire jamais été étudié comme un ensemble provenant d’une seule ethnie. Ces sculptures sont replacées dans leur contexte historique et anthropologique et nous permettent ainsi de mieux comprendre la spécificité culturelle du style lumbu et de son évolution dans l’art. Par sa superbe iconographie, son texte précis et la diversité des pièces illustrées, cet ouvrage reste un outil de référence sur l’art lumbu, à la fois passionnant et irremplaçable : les lumbu – un art sacré – bungeelë yi bayisi, par Charlotte Grand-Dufay, préface par Jacques Viault. Publié en français par les Éditions Gourcuff Gradenigo et la galerie Bernard Dulon, Paris, 2016. Format : 25 x 31 cm, 272 pp., 215 ill. coul. (dont 156 pl.) et 27 N/B. Relié sous jaquette : 69 €. ISBN 978-2-35340-239-7

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